Le leader du Labour Jeremy Corbyn. | PAUL HACKETT / REUTERS

La voie est libre pour Theresa May. La nouvelle première ministre, qui devait présenter son gouvernement dans la soirée de mercredi 13 juillet, n’aura pas d’opposition organisée en face d’elle jusqu’à la rentrée, et sans doute plus longtemps encore. Le Parti travailliste, en ébullition depuis son échec au référendum du 23 juin où il défendait le maintien dans l’Union européenne (UE), est entré mardi dans une nouvelle phase de sa crise interne avec des risques redoublés d’implosion à l’automne.

Les instances dirigeantes du Labour, en autorisant le leader contesté Jeremy Corbyn à participer automatiquement à l’élection visant à le destituer, ont augmenté ses chances de se maintenir, alors qu’il est visé par un vote de défiance de 75 % des députés du parti.

Au terme de six heures d’une réunion tendue, les 32 membres du comité exécutif national ont donné raison à M. Corbyn et accru le risque d’une crise prolongée. Pendant tout l’été, il sera opposé à la députée qui le défie et veut le remplacer, Angela Eagle, 55 ans, lors d’une campagne électorale interne.

Mais il devra aussi affronter un autre candidat : le député Owen Smith, qui a annoncé mercredi matin sa candidature sur la BBC. Le nom du vainqueur sera proclamé le 24 septembre, juste avant le congrès du Labour.

Refus de démissionner

Jeremy Corbyn, 67 ans, issu de l’aile gauche du parti, a été élu en septembre 2015 à la surprise générale avec une nette majorité (59,5 %) à la faveur d’une nouvelle règle qui permettait d’adhérer au parti moyennant le paiement de 3 livres sterling (3,60 euros) sur Internet. Aujourd’hui mis en cause pour sa faible participation à la campagne du Labour contre le Brexit et son manque de charisme, le leader se prévaut de ce mandat pour refuser de démissionner, comme le lui demandent la quasi-totalité des membres de son cabinet fantôme, démissionnaires, et 172 des 229 députés travaillistes.

Lundi, Angela Eagle a officialisé sa candidature contre lui, forte du soutien de nombreux élus. Mme Eagle estimait que, comme elle-même, M. Corbyn aurait besoin de 51 parrainages de députés pour pouvoir se représenter. Une exigence que l’actuel chef du Labour n’aurait pas satisfaite, ce qui aurait conduit à son élimination.

Mais le comité exécutif en a décidé autrement : en tant que dirigeant sortant, il n’a pas besoin de parrainage et figure automatiquement parmi les concurrents. « Ravi » de ce jugement acquis grâce au soutien des centrales syndicales, Jeremy Corbyn a annoncé qu’il ferait campagne « sur les sujets qui comptent : la lutte contre les inégalités et la pauvreté ainsi que la privatisation du Service national de santé », sans faire la moindre allusion aux conséquences de la sortie de l’UE.

Angela Eagle, elle, a accusé le coup et affirmé sa « détermination à remporter l’élection ». Faisant allusion à l’isolement croissant de M. Corbyn et à son silence sur le Brexit, elle promet qu’elle « ne restera pas enfermée dans son bureau » et appelle à « ne pas recourir tout de suite » à l’article 50 du traité de Lisbonne qui enclenche la sortie de l’UE.

Jeu de massacre post-référendum

En outre, ses proches accusent Momentum, le courant du parti qui milite pour le maintien de Jeremy Corbyn à la tête du Labour, d’être à l’origine d’une campagne d’intimidation qui la vise. Mardi, une vitre a été brisée dans une permanence de Mme Eagle, qui s’est plainte de recevoir des menaces. M. Corbyn a condamné ces pratiques tout en affirmant être lui aussi visé par des menaces. Cela donne un avant-goût de l’atmosphère de la campagne qui commence et dont l’enjeu, au-delà des personnes, est la survie du Labour, parti créé en 1900.

Si Jeremy Corbyn l’emporte, on voit mal rentrer dans le rang les députés qui réclament à cor et à cri son départ. Dans cette hypothèse, l’aile gauche pourrait conserver le nom « Labour » tandis que l’essentiel de ses forces tenterait de se regrouper dans une autre organisation à créer. Dans le cas de figure inverse, il est peu probable que les corbynistes quittent le parti sur la pointe des pieds. Les affrontements risquent alors de se poursuivre.

A première vue, la décision de lundi favorise le courant de M. Corbyn, très actif, qui peut compter sur les milliers de jeunes qui l’ont élu en 2015, ainsi que sur des groupes d’extrême gauche qui pratiquent l’entrisme. Mais les modérés, proches de Mme Eagle, ont obtenu l’adoption, lundi par le comité exécutif, de mesures en leur faveur : les personnes ayant adhéré dans les six derniers mois ne pourront participer au scrutin, sauf s’ils paient 25 livres dans un laps de temps de deux jours. Cela devrait empêcher de voter nombre des nouveaux adhérents, et notamment ceux recrutés par Momentum. Depuis le référendum, pas moins de 130 000 adhésions ont été enregistrées, portant les effectifs du Labour à 500 000.

Comme le Parti conservateur, dont les responsables pro-Brexit se sont torpillés les uns après les autres, voilà donc le Labour engagé lui aussi dans un jeu de massacre post-référendum. Comme pour les tories avec la victoire éclair de Theresa May par forfait, le scénario pourrait aussi s’accélérer au Labour. Avant de tirer sa révérence, David Cameron a pris soin de programmer pour le lundi 18 juillet le débat parlementaire sur le renouvellement de l’armement nucléaire. Sujet qui pourrait faire exploser prématurément le Parti travailliste. Contre une large majorité de ses députés, Jeremy Corbyn défend une position radicale : le désarmement unilatéral.