Lors d’une cérémonie de commémoration de la mort de Moustapha Badreddine, à Beyrouth, en 2014. | HUSSEIN MALLA/AP

Après deux mois de suspension, le procès des auteurs présumés de l’attentat à la camionnette piégée perpétré le 14 février 2005 contre l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri, a repris mardi 12 juillet au matin devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), à Leidschendam-Voorburg, aux Pays-Bas.

Lundi, la chambre d’appel prenait acte de la mort de Moustapha Badreddine, l’un des cinq prévenus jugés in absentia depuis le 16 janvier 2014, permettant la reprise du procès contre ses coprévenus. Le 13 mai, le Hezbollah avait annoncé la mort de son chef militaire dans une explosion survenue sur une base militaire proche de l’aéroport de Damas, attribuant l’attaque aux takfiristes, des djihadistes sunnites.

Moustapha Badreddine y dirigeait les opérations du Hezbollah en Syrie, engagé au côté du régime de Bachar Al-Assad. Mais il aura fallu des semaines de tergiversations pour que le tribunal, établi en 2009 à la suite d’un accord entre le gouvernement libanais et les Nations unies, décide de refermer le dossier ouvert contre le prévenu-clé de ce procès. Moustapha Badreddine était poursuivi, avec Salim Ayach notamment, autre cadre du Hezbollah, pour avoir coordonné les opérations jusqu’à l’attentat.

Début juin, sa mort avait donné lieu à des débats surréalistes, alors que deux des trois juges refusaient d’entériner la mort du milicien et refermer son dossier, faute de certificat de décès. « Nous avons déjà du mal à défendre in absentia, comment voulez-vous qu’on défende les morts ? », avait lâché Antoine Korkmaz, l’avocat de M. Badreddine, après des heures de débats. Malgré les nombreuses vidéos des obsèques, des condoléances, du cortège funéraire jusqu’au cimetière des martyrs du Hezbollah, d’une cérémonie de commémoration à la mosquée Sayyed-Zeinab à Damas, suivie d’une autre à Beyrouth puis à Téhéran en présence des parents du défunt,, rien n’y avait fait.

Le président de la chambre, David Ré, doutait toujours de la mort du prévenu et voulait continuer le procès des cinq hommes en attendant le fameux certificat de décès. Las, MAntoine Korkmaz devait expliquer que « la Constitution libanaise reconnaît aux communautés religieuses le droit exclusif de procéder elles-mêmes aux constatations de décès », ajoutant que le vice-président du Conseil supérieur chiite s’est prononcé, comme le mufti, la plus haute instance religieuse chiite, « dont l’autorité et les décisions sont reconnues par l’Etat libanais ».

Divergences juridiques

Rien pour convaincre deux des trois juges, même si, a tenté en vain l’avocat, « l’ayatollah Khomeini est la plus haute référence dans la religion chiite jafarite, il a vu la famille du défunt, il a présenté ses condoléances ».

Colère rentrée, le chef du bureau de la défense du tribunal, Me François Roux, a essayé de ramener le juge à des considérations plus à propos. « Je ne les ai pas nommés pour être payés pour défendre un mort », lâche-t-il, « c’est une question de conscience pour les avocats », qui ont « l’intime conviction que leur client est mort ».

Divergences culturelles oblige, entre les droits anglo-saxons et romano-germaniques, l’avocat français explique au juge le principe de « l’intime conviction ». Et pour réconcilier les divergences juridiques, il s’empare d’une référence plus imagée : « Les Cambodgiens disent qu’on ne peut pas cacher un éléphant derrière une feuille de bananier, et les avocats de l’équipe Badreddine considèrent qu’on ne peut pas cacher sa mort. »

C’est la chambre d’appel qui a tranché, permettant la reprise du procès mardi et l’audition d’un enquêteur du procureur à la barre des témoins. Depuis le début du procès, plus de cent témoins sont venus déposer à la demande de l’accusation, qui doit encore en appeler une quarantaine avant de donner la parole à la défense.

Lire notre chronique : La chute de la maison Hariri