La mangrove du golfe de Carpentarie, dans le nord-est de l’Australie, a disparu sur des milliers d’hectares et sur un millier de kilomètres le long du littoral. | STR / AFP

Du vert à perte de vue, sur des milliers de kilomètres. Voilà à quoi ressemble le littoral sur une grande partie du nord tropical de l’Australie, où la mangrove est reine. Mais en avril, Norm Duke, professeur à l’université James-Cook dans le Queensland (nord-est), spécialiste des mangroves, a reçu des photographies pour le moins inquiétantes.

Des Aborigènes et des opérateurs touristiques spécialisés dans la pêche voulaient comprendre pourquoi, sur de vastes espaces, cette forêt aux pieds dans l’eau avait péri ou pourquoi certains arbres avaient séché jusqu’à perdre leurs feuilles. De nombreux coquillages étaient également morts.

« J’ai voyagé dans le monde entier pour étudier les mangroves, mais je n’avais jamais vu des photos pareilles. C’était vraiment choquant », raconte le professeur. Des images satellites puis un tour en hélicoptère en juin ont permis de compléter le tableau. La mangrove a péri, probablement en quelques semaines, sur des milliers d’hectares et sur un millier de kilomètres le long du golfe de Carpentarie, une région très isolée du nord-est de l’Australie. C’est « sans précédent », affirme l’expert.

Saison sèche inhabituellement longue

Au même moment, la Grande Barrière de corail, également située dans le nord-est de l’Australie, faisait la « une » de l’actualité. Ses récifs blanchissaient comme jamais auparavant, à cause de la température anormalement élevée de l’eau, elle-même due au réchauffement climatique accentué par le phénomène naturel El Niño, qui revient tous les quatre à six ans. On sait maintenant que plus d’un tiers des coraux du nord et du centre de la Grande Barrière sont morts.

Le blanchissement des coraux et le dépérissement de la mangrove ont « coïncidé », confirme Norm Duke. Mais il accuse principalement le manque de pluie en 2014 et 2015 pour expliquer la disparition de la mangrove : « La saison sèche a été inhabituellement longue. La saison humide n’a duré qu’un mois environ, au lieu de trois ou quatre mois normalement dans cette région. Les sécheresses sont normales, mais pas quand elles sont aussi sévères. »

Les scientifiques accusent principalement le manque de pluie en 2014 et 2015 pour expliquer la disparition de la mangrove. | STR / AFP

Or El Niño est venu accentuer cette tendance. « Il y a eu plusieurs facteurs en même temps », y compris la température anormalement élevée de l’eau. « C’est lié à un changement dans le climat. On n’avait jamais vu ça jusqu’ici, donc on peut se demander si cela va se produire de plus en plus souvent à l’avenir », s’inquiète le scientifique.

Ecosystème indispensable

Beaucoup de destructions de mangroves se sont déja produites dans le monde, mais souvent par la main de l’homme, explique-t-il. Les forêts du nord de l’Australie restaient jusqu’ici bien préservées grâce à leur isolement.

Les forêts denses mais fragiles de la mangrove sont moins attirantes que les coraux, riches habitats où se concentrent des poissons multicolores. Norm Duke a d’ailleurs souvent du mal à sensibiliser l’opinion sur son sujet de prédilection, mais il insiste sur l’utilité de cet écosystème. Il est très important pour les poissons qui viennent s’y alimenter ; il permet aussi de protéger les littoraux de l’érosion, en particulier lors des cyclones.

La mangrove joue aussi un rôle similaire à celui des reins, selon cet expert : « Elle filtre l’eau et la purifie » en limitant l’écoulent des sédiments dans les océans. Par ailleurs, « les mangroves stockent cinq fois plus de carbone que les autres forêts (…). Donc dans les circonstances actuelles, il vaudrait mieux les protéger », souligne Norm Duke. Il espère que les mangroves qui ont dépéri dans le golfe de Carpentarie pourront repousser, mais dans le meilleur des cas, le processus sera long : au moins vingt ou trente ans, selon cet expert.