Karim Benzema, le 8 octobre 2015 à Nice. | ERIC GAILLARD / REUTERS

Au milieu des photos avec son avocat, des vidéos de séances de musculation, d’après-midi farniente ou encore de soirées avec le rappeur Booba, Karim Benzema a glissé deux messages de soutien à l’équipe de France, sur les réseaux sociaux. L’un avant le match d’ouverture contre la Roumanie, l’autre juste avant la finale contre le Portugal : « Pas présent physiquement mais le cœur y est… Bon match. » Ces messages doivent-ils être perçus comme des appels du pied aux instances du football français, Didier Deschamps et Noël Le Graët en tête ?

Laissé de côté depuis l’affaire de la « sextape » de Mathieu Valbuena, dans laquelle il aurait fait chanter son coéquipier en équipe de France. « La préservation du groupe » et « l’exemplarité » ont été les arguments avancés par la Fédération française de football et son sélectionneur, qui se sont empressés de se trouver une porte de sortie en déclarant que le Merengue n’était « pas suspendu à vie ». Le président de la Fédération a ajouté qu’il y avait « une affaire en cours, ce n’est pas une pièce en l’air, il faut voir l’évolution de cette affaire ».

Les échéances à venir

« Il va falloir du temps pour digérer » la défaite, a concédé Didier Deschamps, au sortir de la finale perdue contre le Portugal. Pourtant, du temps, les Bleus ne vont pas en avoir à foison. Les hommes de Deschamps entament leur campagne de qualification pour le Mondial 2018 dès le 6 septembre, contre la Biélorussie, dans un groupe relevé, où figurent la Suède et les Pays-Bas, qu’il faudra débuter du bon pied. Auparavant, ils affronteront l’Italie en match amical dès le 1er septembre.

D’ici là, les divers championnats nationaux auront repris leur cours, et il est fort probable que Karim Benzema soit le plus en forme des prétendants à une place en équipe de France, étant donné qu’il a pu effectuer une véritable coupure pendant l’Euro, et reprendra son championnat dans les temps, contrairement aux Bleus qui ont disputé la finale, le 10 juillet, et se verront accorder une pause bien méritée avant la reprise.

Benzema semble vouloir revenir sur le maillot bleu au plus vite. Mais la décision n’est pas entre ses mains. | Jorge Guerrero / AFP

Mais, dans la gestion du cas de Karim Benzema, le calendrier judiciaire se superpose aux échéances sportives. Mis en examen pour « complicité de tentative de chantage », le buteur a déposé une requête en nullité sur cette enquête, qu’il estime « déloyale ». Le parquet de Versailles, en charge de l’affaire, doit se prononcer en faveur d’un non-lieu ou d’un renvoi en correctionnelle d’ici à la fin du mois de juillet, au plus tôt. Mais l’éventualité de recours ou d’appels pourrait bien faire durer le travail de la justice et repousser son possible retour en sélection.

Quelle place dans cette équipe ?

Mais la véritable question qui doit trotter dans la tête de Dider Deschamps, est certainement celle de savoir où Karim Benzema pourrait évoluer au sein d’un groupe finaliste de l’Euro, sans lui. Une compétition pendant laquelle un duo est né. La complémentarité entre Karim Benzema et Antoine Griezmann, aperçue au Brésil en 2014 par séquences, ne s’est pas concrètement traduite par des résultats. Contrairement à celle entre Olivier Giroud et le meilleur joueur de l’Euro, qui a été l’une des forces de l’équipe de France, tout au long de la compétition. Mis dans les meilleures conditions tactiques par Didier Deschamps, le jeune attaquant français a bénéficié des remises en pivot et du travail de sape effectués par Giroud.

La complémentarité entre Olivier Giroud et Antoine Griezmann a de quoi inquiéter Karim Benzema. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Le 4-2-3-1, mis en place lors de l’Euro, s’il est maintenu par la suite, ne facilitera pas une nouvelle intégration de Benzema. Ce système de jeu permet à Griezmann d’être l’électron libre, le lien entre le milieu et l’attaque, du jeu français. En admettant que Karim Benzema retrouve sa place de numéro 9, cela pourrait impliquer une refondation tactique. L’attaquant formé à Lyon a tendance à beaucoup dézoner en Bleu, à revenir chercher les ballons dans le milieu de terrain ou sur le côté gauche de l’attaque. Actuellement, ces deux secteurs sont les terrains de jeu de Dimitri Payet, et de Griezmann donc. La présence de Benzema pourrait provoquer des embouteillages sur le front de l’attaque et nécessiterait une recomposition tactique que Didier Deschamps pourrait être réticent à mettre en place.

Du côté des joueurs présents lors de cet Euro, Anthony Martial et André Pierre Gignac sont les deux hommes les plus susceptibles de pâtir d’un éventuel retour de Karim Benzema sous le maillot de l’équipe de France. Le jeune Mancunien bénéfice certes d’une marge de progression assez impressionnante, mais ses rentrées peu convaincantes, en préparation puis lors de l’Euro, ont agacé Didier Deschamps. Quant à « Dédé » Gignac, son éloignement des radars, au Mexique, pourrait lui porter préjudice, et il sait qu’il doit sa place dans les 23 joueurs de l’Euro à la seule absence de Benzema.

Pragmatisme ou autorité

« Le sélectionneur a toujours la possibilité de ne pas prendre un garçon même s’il n’est pas suspendu, au nom de la vie de groupe », a affirmé Noël Le Graët, en conférence de presse, mardi 12 juillet. Autrement dit, malgré toutes les polémiques, le choix est entre les mains de Deschamps. Le sélectionneur devra trancher entre faire appel aux meilleurs joueurs sur leur valeur individuelle intrinsèque – et Benzema en fait indéniablement partie – ou insuffler à son groupe une certaine rigueur comportementale, dans l’attitude – secteur dans lequel Karim Benzema a souvent été critiqué.

Didier Deschamps s’attend à devoir faire avec quelques casse-tête dans son secteur offensif. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

L’autre grosse épine dans le pied de la fédération réside dans l’opinion publique, qui semble s’être prise d’affection pour l’équipe qui a terminé malheureuse finaliste de l’Euro. Sans Benzema, qui cristallise une forme de rejet autour de sa personne. Des récupérations politiques aux sifflets qui ont souvent émaillés ses sorties en équipe de France, l’attaquant ne fait pas l’unanimité. Selon un sondage, 81 % des Français approuveraient sa suspension.

Dans une interview à Marca, le joueur de 28 ans avait estimé que Deschamps avait « cédé à une partie raciste de la France », en ne le retenant pas pour le championnat d’Europe. Cette sortie avait occupé l’espace médiatique à quelques jours du début de la compétition. Elle avait même engendré des actes de vandalisme sur la propriété du sélectionneur, qui n’a pas du tout apprécié être pointé du doigt. Une crispation qui ne plaide pas pour Benzema, d’autant que Didier Deschamps n’est pas du genre à apprécier qu’on lui force la main, d’une façon ou d’une autre.

En deux années, Didier Deschamps, comme il l’a fait avant l’Euro, prendra certainement le temps d’expérimenter certains systèmes et donnera du temps de jeu à beaucoup d’éléments. A cet égard, Karim Benzema devra aussi faire avec la concurrence des jeunes pousses qui sont aux portes de l’équipe de France, comme Ousmane Dembélé, Nabil Fékir, Alexandre Lacazette, Kévin Gameiro, ou même Paul-Georges N’Tep. Sans compter Hatem Ben Arfa, qui sera en première ligne sur la scène européenne et nationale, après son transfert au PSG. Le secteur offensif français a rarement été aussi fourni. Des problèmes de « riche » pour un sélectionneur qui espère faire aussi bien que lors de l’Euro, en 2018, en Russie, pour la Coupe du monde. Avec ou sans Karim Benzema.