Le mal-logement en chiffres en 1 min
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Se faire expulser de chez soi représente toujours une expérience traumatisante. Et la vie, après, est toute entière consacrée à la survie, à des démarches sans fin, souvent contradictoires, pour effacer ses dettes, récupérer ses affaires, se reloger… Sans l’aide d’une association, difficile de reprendre le contrôle de sa vie. Réunis par Droit au Logement (DAL), dans son local du 12e arrondissement, des familles racontent comment elles ont vécu leur expulsion, alors que prend fin, jeudi 31 mars au soir, la trêve hivernale.

Des personnes manifestent, le 15 mars 2008, place de la République à Paris, en faveur du droit au logement à la veille de la fin de la trêve hivernale des expulsions locatives. Une trentaine d'associations, comme le Dal (Droit au logement), le Cal (Comité action logement) ou Jeudi Noir, avaient appelé à cette manifestation pour souligner l'absurdité d'un système qui met à la rue des personnes que la loi sur le droit au logement opposable oblige à reloger. AFP PHOTO JOEL SAGET / AFP / JOEL SAGET | JOEL SAGET / AFP

Tous se souviennent de la date précise : « C’était le 7 juillet 2015, à 9 h 20, après le départ des enfants à l’école. Je m’y attendais, car j’avais squatté un appartement vide de la Régie Immobilière de la Ville de Paris, mais c’était très dur. On a été envoyés dans un hôtel des Yvelines, alors que mes enfants allaient en classe dans le 19e arrondissement, de l’autre côté de Paris. Aujourd’hui, c’est mieux : nous sommes dans une résidence étudiante, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) », témoigne Iram Cha, jeune mère de famille de 34 ans d’origine pakistanaise, animatrice, à temps partiel, à la Ville de Paris.

Pour Paul, d’origine africaine, endetté après un coûteux voyage au pays au moment du décès de sa mère, « c’était le 3 septembre 2015, à Saint-Denis, et, depuis, je suis hébergé chez des amis, auxquels je paye 500 euros par mois pour partager une sous-pente ». Tous les espoirs de ce plongeur dans une société de restauration, âgé de 61 ans, reposent sur sa première année d’ancienneté dans l’entreprise, qu’il fêtera en avril. Elle lui ouvrira le droit de prétendre à un logement par le 1 % Action Logement : « Tout ce que je veux, c’est un petit coin tranquille pour passer ma retraite. »

« Moi, c’était à 8 h 20, le matin du 15 juin 2015. Un huissier, un policier, un serrurier, accompagnés d’un témoin, ont attendu que mon fils soit parti à l’école. Ils sonnent à la porte puis vous demandent de ramasser vos affaires et de sortir » , explique Sandrine Scemama, 36 ans. « J’ai pris d’abord celles de mon fils, les papiers et très peu de choses pour moi. Les déménageurs entassent le reste dans des sacs-poubelles, pêle-mêle, les plantes vertes, le maquillage, la friteuse dont l’huile se renverse… Un carnage ! Ils ferment la porte avec un panneau blindé et là, c’est le début du cauchemar », se souvient cette ancienne vendeuse et caissière, « acharnée du boulot », selon ses propres termes. Or elle souffre d’une grave maladie respiratoire et ne peut plus travailler. Son allocation aux adultes handicapés (AAH) a mis du temps avant d’être débloquée. Du coup, les retards de loyers auprès du bailleur Créteil Habitat se sont accumulés, provoquant l’interruption de l’allocation logement et les ennuis en cascade.

« Ce qui est rageant, c’est que dès le lendemain de mon expulsion, la Commission de surendettement recommandait d’effacer ma dette de 10 000 euros, ce qui nous aurait évité ce traumatisme »

S’ensuivent des mois d’errance : « On vivote, hébergés un peu chez ma sœur, avec parfois des nuits passées dans une cage d’escalier, puis, cet été, le campement de la place de la République, avec Droit au logement et 44 autres expulsés, qui s’est heureusement conclu par un accord avec le préfet de Région. Sans ce collectif, j’aurais craqué », confie-t-elle.

En attendant un logement définitif, le 115 a installé Sandrine et son fils dans un hôtel, à Arcueil (Val-de-Marne). « Pour se rendre à l’école, il faut prendre trois bus, soit une heure trente de trajet. Je n’ai pas le temps de retourner chez moi, alors je passe la journée dehors, parfois chez des amis ou au McDo ». Pendant l’entretien, son fils Marco a dessiné les bus, avec les numéros, qu’il prend tous les matins entre son hôtel et l’école Chateaubriand. « Heureusement, les enseignants sont compréhensifs et excusent ses absences ». Une proposition de relogement se profile à Créteil, dans le parc social, mais il manque encore le feu vert de la commission d’attribution, qui a toujours le dernier mot. Sandrine reste inquiète car elle a déjà essuyé un refus lors d’une première offre émanant pourtant du préfet lui-même : « Cette fois, ce sera la bonne, on va pouvoir repartir à zéro », se convainc la jeune mère.

Expulsé avec six enfants et une épouse handicapée

Aman Hossny, ancien ouvrier du bâtiment, a, lui, été expulsé le 24 juillet 2015, avec ses six enfants et sa femme handicapée. Sa situation s’avère ubuesque : il louait dans le parc privé un 55 mètres carrés à Bagnolet pour 900 euros par mois. Une facture supportable grâce à l’allocation logement. Las ! Elle lui a été supprimée au motif que l’appartement était trop petit donc suroccupé. Résultat : les impayés se sont enchaînés. Expulsée, toute la famille s’est retrouvée logée par le Samu Social, dans deux chambres d’hôtel de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), à une heure de l’école des enfants. Ayant pris la précaution de louer un camion pour aller chercher ses affaires et un box pour les remiser, il n’y avait plus rien, ni meubles, ni biens personnels, dans l’appartement le jour où le propriétaire l’a convoqué pour les récupérer : une humiliation de plus dans le parcours ordinaire de l’expulsé.

A deux reprises, le préfet lui a proposé un logement que l’organisme HLM lui a refusé : le premier, à la bonne surface, était trop cher pour ses ressources ; le deuxième, compatible avec ses revenus mais trop petit… Aujourd’hui, Aman se trouve en troisième position sur liste d’attente pour un autre appartement.