Un mémorial aux victimes de l’attentat du 14 juillet, à Nice. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

L’attentat qui a fait 84 victimes dont 10 enfants et adolescents à Nice, le soir du 14 juillet, est la première tuerie de masse touchant une ville de province en France. Depuis les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, les services de sécurité et de secours se préparaient à la possibilité d’une attaque de cette ampleur dans une ville de taille moyenne, où le dispositif d’intervention et de prise en charge des blessés est moins important qu’à Paris.

De nombreuses simulations d’attentats ont donc été organisées depuis le 13 novembre. Trois mois avant le début de l’Euro 2016, qui s’est déroulé dans dix villes de France du 10 juin au 10 juillet, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a appelé à « renforcer la planification et les entraînements à des situations de crise ». Soixante-quinze simulations étaient alors prévues pour l’année 2016. Une partie d’entre elles ont eu lieu dans des fan-zones avant le début de l’Euro, à Nîmes, Lyon et Bordeaux. Nice, qui avait réussi un premier test grandeur nature avec la tenue du carnaval, le 13 février, a organisé une simulation d’attentat le 8 mars, toujours en prévision de l’Euro. A l’approche du Festival international de cinéma, la ville de Cannes avait également organisé une simulation.

Préoccupation des forces de sécurité et des professionnels de santé

L’organisation des forces de sécurité et de secours dans les villes moyennes a été évoquée lors des auditions de la commission d’enquête parlementaire « relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 ». Le rapport des auditions de cette commission, rendu public le 5 juillet, montre combien l’éventualité d’une tuerie de masse en province préoccupait à la fois les directions des forces de sécurité (préfecture de police, direction de la gendarmerie et de la police nationale) et les secours et professionnels de santé parisiens, soucieux de pouvoir reproduire en province un dispositif forcément sous-dimentionné par rapport à la capitale.

Lors de son audition le 7 mars, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a insisté sur la bonne coordination des différents services de secours de Paris et d’Ile-de-France. Il a ajouté qu’il fallait « nous assurer qu’il en serait de même des territoires plus lointains ». Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a rappelé en audition le 23 mars que la capitale bénéficiait d’un sureffectif policier.

« L’agglomération parisienne est le seul territoire du pays qui dispose d’une capacité de moyens spécialisés d’importance, en s’appuyant sur la BRI [Brigade de recherche et d’intervention], le RAID [unité recherche, assistance, intervention, dissuasion] et le GIGN [groupe d’intervention de la gendarmerie nationale], a-t-il souligné. Le pays doit aussi renforcer sa capacité de projection rapide sur les grandes et moyennes villes de province. » En avril, le ministre de l’intérieur avait annoncé la création de plusieurs nouvelles antennes du RAID en province, à Montpellier, Nancy et Toulouse, et de quatre nouvelles antennes du GIGN à Nantes, Reims et Tours et Mayotte.

Menace en perpétuelle évolution

Lors d’une audition le 16 mars, le docteur François Braun, président du SAMU Urgences de France, a affirmé que les dispositifs hospitaliers étaient les mêmes à Paris qu’en province, avec néanmoins une forte différence « d’échelle ». Les équipes étant moins nombreuses, un dispositif de « renforts rapides » est appliqué dans le cadre du plan Orsec (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles, déclenché hier soir à Nice). De même, le directeur de l’Institut médico-légal de Paris, Bertrand Ludes, a affirmé au cours des auditions qu’il étudiait la possibilité d’envoyer des renforts en cas d’attaques dans des villes moyennes, « qu’il s’agisse de techniciens, de secrétaires, de médecins, et d’envoyer du matériel ».

L’attaque survenue à Nice, si elle entre dans un scénario redouté par les autorités, montre également combien il est difficile de se prémunir contre une menace en perpétuelle évolution. Contacté par Le Monde, le professeur Nicolas Venissac, chirurgien thoracique au CHU de Nice, explique que « même quand on s’y prépare, personne ne s’y attend vraiment. Surtout qu’on avait vu tous les cas de figure, des attaques d’armes à feu, d’armes blanches, d’armes chimiques, des explosions, mais pas un attentat avec un camion ».

D’où un bilan sanitaire et une gestion de crise très différents de ceux qui ont suivi les attentats du 13 novembre à Paris. Les hôpitaux des Alpes-Maritimes ont pris en charge 202 blessés, dont 52 sont entre la vie et la mort, contre 413 blessés après les attaques du 13 novembre. « La gestion n’a rien à voir, précise le Pr Venissac. On n’a pas, comme à Paris, de très nombreux blessés par armes à feu, dont l’état va s’aggraver très vite et qui doivent passer au bloc de manière extrêmement urgente. Cette fois, les blessures étaient soit très graves d’emblée, soit des polyfractures qui pouvaient attendre un peu, mais aucun cas évolutif. On a donc pu gérer les flux de patients, sans trop-plein. »

Contacté par Le Monde, le rapporteur de la commission, Sébastien Pietrasanta, a salué une « mise à niveau » réalisée par les villes de province depuis les attentats de janvier, et surtout de novembre 2015. Il a souligné que, malgré une grande préparation permise dans le cadre de l’Euro 2016, y compris à Nice, « il n’y a pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme », à l’heure où les terroristes « s’adaptent à nos dispositifs de sécurité ».

Attentat de Nice : « Il n’y a pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme »
Durée : 04:37
Images : Charles-Henri Groult