Sur la promenade des Anglais, samedi 16 juillet. | France Keyser/MYOP/Le Monde

« C’est peut-être un peu tôt pour rouvrir. » Maryline Alvarez est dubitative devant le ruban policier coupant toujours l’accès au lieu de l’attentat qui a frappé Nice, jeudi 14 juillet. « Mais c’est vrai qu’il va bien falloir. » L’ordre est finalement venu samedi à la mi-journée, soit moins de 48 heures après.

Benjamin Lockwood, lui, attendait avec impatience de récupérer « sa » promenade des Anglais. La veille, ce père de trois enfants a tout fait pour éviter de passer par là, rongé par la culpabilité de ne pas être descendu aider. Secouriste ? Médecin ? Non, mais l’opticien ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait dû venir, juste pour tenir une main. Alors deux jours plus tard, il a besoin de regarder sa peur en face, et de fouler à nouveau le sol interdit. « Un pélerinage ou quelque chose comme ça. »

D’autres sont venus avant lui, depuis vendredi à l’aube, déposer une fleur, allumer une bougie, ou simplement « voir » l’endroit où le drame s’est déroulé. Au milieu des hommages, une affiche jure que « rien ne sera plus jamais comme avant ». Et pourtant, alors qu’une jeune femme se signe, roses blanches à la main, un homme torse nu passe avec un matelas gonflable fluo sous le bras. Les premiers baigneurs sont déjà là.

Sa serviette de plage n’y fera rien, Frédéric Lellouche reste persuadé que désormais, dès qu’il foulera la promenade, il y pensera. Le professeur de maths regarde sa ville « salie par le terrorisme ». Le dernier mot, il le prononce tout bas. « Les attentats, c’est toujours ailleurs. Pas chez nous. » Jusqu’ici, même Paris et son Bataclan lui paraissaient si loin.

« Ah, mais c’était là ? »

Géraldine Viale lève ses yeux embués vers le ciel d’un bleu intense. « Vous voyez, Nice, c’est ça normalement. Pas tous ces gamins allongés par terre. » Dans le dernier bilan, 10 enfants et adolescents ont été recensés parmi les 84 morts. Deux collégiens de l’école de sa plus jeune fille en font partie, et une autre fillette est toujours dans le coma. La mère de 45 ans ne peut s’empêcher de trembler en repensant à cette soirée passée à agripper sa petite, comme jamais, dans le mouvement de foule qui l’emportait. Elle est restée sans nouvelle de la grande, jusqu’à ce qu’une bonne âme lui prête un téléphone. « Les 15 minutes les plus longues de ma vie. »

« Ah, mais c’était là ? » Un couple de retraités n’en revient pas de marcher sur les 1700 mètres dont tout le monde parle tant. Charline Clouet, elle, a trouvé la scène difficile à rater. « Je ne pensais pas qu’il y aurait encore autant de traces de sang. » Les stigmates de l’horreur sont toujours là. La jeune femme de 24 ans a même deviné la forme d’un corps, au bout là-bas.

Des larmes croisent des vélos jouant déjà de la sonnette pour éviter les piétons qui s’attardent un peu trop, comme Jessica Bouleau. La Suédoise de 30 ans est revenue à l’endroit où elle était ce soir-là, deux minutes avant que le camion ne passe. Elle venait de s’asseoir au bar de l’hôtel Royal, juste en face, lorsqu’elle a entendu les premiers cris. La jeune femme baisse les yeux vers la rose qu’elle vient de déposer sur la trace d’une flaque de sang.

Comme elle, d’autres ont eu besoin de revenir sur les lieux où ils ont passé leur nuit de cauchemar. Un homme mime les bonbons et les barbes à papa qui volaient de son stand, pointe du doigt les endroits où il a croisé des corps en allant se réfugier ; Un père tente de garder l’équilibre alors que sa fille virevelote en rollers autour de lui, remplie de questions. « Et il s’est arrêté où ? Et nous on était où ? » Lorsque la famille de vacanciers a enfin pu quitter le bar où elle s’était retranchée, tout était dévasté et les policiers à chaque coin de rue. Alors il fallait qu’il en reparle avec elle, qu’il lui montre aussi que « ça ne s’arrêtait pas là ». Et quoi de mieux qu’une balade en rollers sur la promenade des Anglais pour redonner à la vie un air de vacances ?

La sauveteuse du Lido essuie une larme en longeant son bout de plage privée. Travailler chaque jour sur le lieu de l’attentat, « c’est sûr, ça ne va pas être facile. » D’autant qu’au sol, « tout n’est pas effacé. » De toute façon, il n’est pas question d’oublier.