Les seaux à champagne se vident de leurs roses blanches devant le High Club. Le patron de la discothèque niçoise enlace un ami, puis reprend sa distribution de fleurs sur la promenade des Anglais, dimanche 17 juillet. La gorge serrée. Le soir de l’attentat, Gilles Thevenet a ouvert les portes de son établissement un peu plus tôt qu’à l’accoutumée. Son lieu de fête « sent la mort » désormais. Toute la nuit, les secours l’ont investi pour prodiguer les premiers soins. Au premier étage, les morts ; au rez-de-chaussée, les blessés. Des dizaines et des dizaines de blessés.

Sur près de deux kilomètres, juste en face, un camion blanc vient de faucher la foule rassemblée pour le feu d’artifices, tuant 84 personnes. Le directeur et sa jeune équipe n’ont pas hésité : ils ont poussé les tables, entassé les banquettes, transporté bouteilles d’oxygène, caisses de médicaments, machines à électrochocs… avant de regarder leur piste de danse se remplir de brancards.

Pourquoi ici ? Depuis onze ans, la fête bat son plein dans la boîte de nuit qu’il tient, à 55 ans, avec ses trois frères. « Alors les pompiers nous connaissent bien. » Le lundi précédent, c’est même ici que leur bal a été organisé. « Des êtres surhumains » qui multipliaient quelques jours plus tard les allers-retours vers les deux hélicoptères chargés d’emmener les cas les plus urgents.

Gilles Thévenet, patron du High Club à Nice. | Lucie Soullier / Le Monde.fr

Gilles Thevenet assiste à la transformation de son club en hôpital de fortune, impuissant. « J’avais l’impression d’être là pour rien. » Pas de héros qui tienne, il estime n’avoir fait qu’ouvrir les portes à ceux qui auraient dû venir ici pour boire et danser. Son respect, il le réserve aux « professionnels » : ceux des secours, pas de la politique. Comment le camion a-t-il pu passer si facilement ? Pourquoi aucune voiture de police n’avait été placée en travers, à l’entrée de la promenade ? Pourquoi la sécurité n’a-t-elle pas été assurée ? Dans les dizaines de questions qui le traversent désormais, la colère se mêle à la tristesse. « Je n’accepte pas. »

Réouverture jeudi

Trois jours après, les drapeaux français et niçois sont en berne au-dessus de la porte du High Club, sur laquelle est placardée la photo d’une disparue. A l’intérieur, le pire a été nettoyé mais son patron ne voit que ça. Sous la boule à facettes, fleurs à la main, il raconte « l’horreur en majuscule » qui l’empêche de trouver le sommeil. La mort d’une femme enceinte. Deux enfants. Au premier massage cardiaque, Eric Durand, lui, est sorti. Le directeur artistique de la discothèque est resté prostré jusqu’au petit matin devant l’entrée, à regarder passer le ballet des ambulances avant de rentrer chez lui. « Avec une bonne dose de Lexomil. »

Ce soir-là, il distribuait des flyers sur la promenade des Anglais lorsqu’il a vu une poussette passer sous les roues du camion. Les quelques centaines de mètres qu’il a remonté à toutes jambes vers la boîte de nuit le hantent encore. « Un champ de bataille. Un cauchemar. » Dimanche, il s’est fait violence pour se tenir debout sur les lieux du massacre, et participer au recueillement avec ses collègues.

La musique, elle, ne reviendra que jeudi dans la discothèque, mais elle reviendra. L’entrée sera gratuite, et les cœurs n’y seront pas mais l’équipe se doit d’être là. Malgré la douleur, la saison estivale a débuté, et la boîte de nuit doit tourner. Surtout, souligne Eric Durand, il faut rouvrir « parce qu’il ne faut surtout pas leur laisser ça. »