Nice, le 15 juillet 2016, sur la promenade des Anglais. | FRANCE KEYSER/MYOP POUR "LE MONDE"

Il a fermé sa plage, le Blue Beach, durant vingt-quatre heures en signe de deuil et de solidarité avec les victimes et leurs proches, mais dès samedi 16 juillet, René Colomban, 64 ans, président du syndicat des plagistes de Nice était de retour au travail.
Premier à avoir ouvert sa plage en hiver il y a une vingtaine d’années, ce Niçois d’origine qui exerce le métier depuis plus de quarante ans n’a d’abord pas compris ce qui se passait au soir du 14 juillet sur la promenade des Anglais, alors que son établissement est situé en contrebas.
« On a entendu un bruit énorme sur la toiture, racontait-il dimanche matin à minuit et demi alors que les convives d’un mariage s’apprêtaient à quitter son établissement. Des gens qui se jetaient sur notre toit ont atterri dans l’entrée et sur les parasols. Ils tentaient d’échapper au camion fou, mais nous n’en savions encore rien. »

« On a fait entrer tout le monde à l’intérieur »

L’homme décrit des scènes de panique. « Des gens arrivaient de partout en criant, dit-il, puis on a entendu les coups de feu sans savoir s’il s’agissait bien de cela ou de pétards du 14-Juillet et ça a provoqué un second mouvement de panique. » Une deuxième vague de personnes tentant de se protéger a alors déferlé sur sa plage. « On a fait entrer tout le monde à l’intérieur, continue le professionnel du tourisme dont l’établissement, fait de murs en béton, a servi d’abri durant la seconde guerre mondiale. On a baissé le rideau de fer et fermé la porte blindée et on est restés là jusqu’à environ deux heures du matin à attendre que la police vienne nous chercher après avoir sécurisé le quartier. » Les forces de l’ordre ont alors divisé les clients et les rescapés de la promenade en petits groupes afin de leur permettre de rentrer chez eux.

Le personnel du Blue Beach qui compte 35 employés a été particulièrement éprouvé par les événements. « Cinq ou six de mes employés ne sont pas du tout en état de revenir travailler, dit M. Colomban. Deux sont allés consulter la cellule psychologique, mais je vais devoir faire appel à un psychiatre pour qu’il rencontre tous les autres, car il va être difficile de se remettre de ce qu’on a vu. » Son personnel et lui ont découvert « des scènes de guerre » en montant sur la promenade. « Il y avait des morts partout, se souvient René Colomban. On a pris des couvertures et des housses de matelas pour soulager les gens, ou les recouvrir quand il était trop tard. On a tenté d’apporter les premiers soins en attendant l’arrivée des pompiers qui a été relativement rapide au regard des événements et de l’étendue de la zone d’attaque sur deux kilomètres. »

En dépit du choc, « relever la tête »

En dépit du choc, le plagiste a tenu à « relever la tête ». « Certains touristes ont annulé leurs réservations dans les hôtels, cette désaffection durera quelque temps, et c’est normal, c’est humain, dit-il. Mais la prom’ qu’on découvre ici dans de terribles circonstances reste pour moi la plus belle avenue du monde et la vie doit reprendre ses droits. »

Le président du syndicat des plagistes Nice-Côte d’Azur se refuse à alimenter la polémique concernant une éventuelle défaillance au niveau du dispositif de sécurité. Pour autant, il ne se voile pas la face : « La période de deuil passée, les plaies pansées, on va pouvoir et l’on doit réfléchir au tragique événement qui s’est produit et qui n’aurait jamais dû se produire. Les faits sont implacables, il y a forcément eu une faille en ce jour où beaucoup de forces armées et de police venaient de défiler. Il s’agit maintenant d’analyser à tête reposée la manière dont on peut recevoir 30 000 personnes pour assister ici à un spectacle. » M. Colomban ne peut cependant s’empêcher d’établir un parallèle avec l’attentat perpétré le 13 novembre 2015 au Bataclan. « Les similitudes sont indéniables, note-t-il. Paris est la première ville touristique de France et Nice la seconde, et le Bataclan comme la promenade des Anglais qui était le 14 juillet en configuration de salle de spectacle mais en plein air - sont deux lieux de divertissement. »

Le plagiste veut croire que « la force de vie » estompera le drame. « L’histoire de l’humanité montre que la vie a toujours repris le dessus, même après des bombardements atomiques, où que ce soit », insiste-t-il. Il estime que la meilleure thérapie est « le travail ». « Il faut s’y remettre pour évacuer la douleur et recevoir les touristes étrangers et français avec le sourire, martèle-t-il. A nous de leur donner l’envie de venir et de revenir à Nice. »