Hommage aux victimes de l’attentat de Nice, autour du maire, Jean-René Etchegaray, à Bayonne, le 15 juillet. | GAIZKA IROZ / AFP

Dans les allées du marché en plein air, autour des Halles de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), les discussions vont bon train sous un soleil de plomb. Annulées ? Maintenues ? A 850 kilomètres de Nice, au surlendemain de l’attentat qui a fait 84 morts, les Bayonnais s’inquiètent, ce samedi 16 juillet, de l’éventuelle annulation des fêtes de leur ville qui doivent débuter le 27 juillet, pour cinq jours.

Un article paru vendredi 15 juillet dans le quotidien Sud Ouest, évoquant une possible annulation, a suscité la crainte des habitants et, surtout, des commerçants. Les fêtes de cette ville basque de près de 50 000 habitants comptent parmi les événements estivaux les plus renommés : 1 million de personnes se pressent alors dans les rues.

« Si on ne maintient pas, on peut tout arrêter, on ne vit plus », s’exclame Philippe Choiselat, responsable de la cave Vignobles & découvertes, située derrière les Halles. Le commerçant, qui reconnaît que certains de ses clients ont peur, redoute une affluence moindre. Pour lui, les fêtes de Bayonne, « c’est un deuxième Noël, on vend beaucoup et on a le droit d’ouvrir un bar devant le magasin ». L’irouleguy, vin basque réputé, et les rioja espagnols voisins coulent alors à flots.

A quelques mètres du magasin, Kayobachi, un touriste japonais, se régale de l’architecture de style Baltard des Halles et mitraille avec son appareil photo les stands de piments, d’espadrilles, de charcuterie, tout ce qui symbolise le Pays basque à ses yeux. « Nice, c’est horrible, confie le sexagénaire, mais ici c’est tranquille, tout va bien. » Encore un jour ou deux dans le Sud-Ouest et le touriste rejoindra le Japon, sans attendre la folie des Fêtes de Bayonne.

« On ne sait pas d’où l’attaque peut venir »

Tranquille Bayonne ? Personne, jusqu’au drame niçois, ne pouvait imaginer être touché ici par la violence meurtrière qui a ensanglanté à deux reprises la capitale. « Là, ça devient fou, c’est totalement irrationnel, on ne sait pas d’où l’attaque peut venir, réagit Xina, patron du Café des Pyrénées et longtemps représentant des 140 cafés et restaurants de la ville. Des parents ont peur pour leurs enfants, se demandent s’ils les laisseront participer à la journée des enfants [traditionnellement, le jeudi, les enfants dansent et défilent]. »

Difficile pour autant pour le commerçant d’envisager une année sans les fêtes. « C’est tellement fort, c’est un tel rendez-vous identitaire pour les Basques, qu’on ne peut pas ne pas les faire », insiste Xina. Ces jours-là, de 10 000 à 15 000 personnes se pressent chaque soir sur la place devant son café.

Bayonne s'apprête à recevoir un million de personnes pour les Fêtes traditionnelles, du 27 au 31 juillet. | DR

« Depuis 1932, en dehors la période de l’Occupation, les Fêtes de Bayonne n’ont jamais été interrompues, c’est un événement culturel auquel les concitoyens sont très attachés. » Pas question donc pour la sous-préfète de Bayonne, Catherine Seguin, d’annuler les fêtes, malgré les rumeurs. « Nous avons renforcé la sécurité pour ce rendez-vous et l’amélioration est constante depuis plusieurs années », explique-t-elle. En 2015, 1 800 personnels de sécurité et d’urgence – gendarmes, policiers, police de l’air et des frontières, ainsi que protection civile, Croix-Rouge ou pompiers – étaient mobilisés.

« Il ne faut pas verser dans la psychose, on reste dans le cadre de la préparation et de la sécurisation d’une fête. On adapte le dispositif pour chaque événement durant les cinq jours, que ce soit des rendez-vous sur la voie publique ou dans des endroits clos comme les arènes », détaille Mme Seguin.

« Un exutoire »

Les discussions de la préfecture avec la mairie de Bayonne n’ont pas cessé, en lien direct avec le ministère de l’intérieur. Pas d’annulation mais peut-être quelques modifications dans le déroulé des différents événements. « Ce qui s’est passé à Nice nous réinterroge, mais les fêtes sont un exutoire, elles ont une fonction sociale considérable dont on ne peut se passer, avance le maire de la ville (UDI), Jean-René Etchegaray. Elles ont évolué dans le temps, touchent toutes les générations en se déroulant aussi en journée alors qu’avant, c’était un rendez-vous surtout nocturne. »

Et arrosé, pourrait ajouter le maire, tant ces fêtes ont, voici quelques années, défrayé la chronique, avec de nombreuses bagarres et agressions sexuelles. « Mais depuis vingt-six ans que je connais ces fêtes, les conditions de sécurité se sont continuellement renforcées, assure encore le maire. Si on me disait qu’il faut absolument les annuler, je pourrais le faire, mais à quel moment aurons-nous la certitude qu’il n’y aura plus de fou fanatique ? »

Sur la place devant la mairie, sur les rives de la Nive, quelques dizaines de personnes, deux ou trois drapeaux tricolores à la main, se pressent autour du maire et des conseillers municipaux, le vendredi soir, pour un hommage aux victimes niçoises. Parmi le public, Iñaki Serrada, une figure des Fêtes de Bayonne. Toujours là depuis cinquante ans, en tête des défilés, avec son association d’arts et traditions basques, Orai-bat (« tous unis »), jouant du txistu, une flûte à trois trous, accompagné d’un tambourin.

Devant la mairie de Bayonne, autour du maire Jean-René Etchegaray, minutes de silence puis d'applaudissement en hommage aux victimes niçoises, vendredi 15 juillet au soir. | Photo : R.Bx.

« Le Pays basque a connu des périodes difficiles, avec des assassinats, des attentats, mais on n’est jamais resté cloîtré, on a continué à vivre », explique le robuste sexagénaire, faisant référence à la période où indépendantistes basques, policiers et barbouzes espagnols et français s’affrontaient dans la région. Mais, professe Iñaki Serrada, « là, ce sont des méthodes qu’on ne connaît pas : un bar qui saute et le mitraillage d’une salle de concerts, cela n’a rien à voir ! »

Loin de ces images de violence, tous les Bayonnais attendent avec impatience le début des festivités. « La fête va être superbe, avec les sonneurs de cloche, les musiciens, les enfants, les concerts, la pelote, les joutes, les courses de vachettes…, conclut Iñaki Serrada. Il ne faut pas reculer. » Dans moins de deux semaines, avec un peu d’appréhension pour certains, les Bayonnais se laisseront ainsi aller dans le flux et le reflux des vagues blanche et rouge des dizaines de milliers de personnes juste venues faire la fête.