Affiche appelant à déposer plainte contre les violences sexuelles dans une des artères principales de Goma, en juin 2016. | DR

Jeanne a enfilé une sorte de burqa confectionnée dans un tissu de wax bleu pour dissimuler tout ce qui pourrait fournir le moindre indice de son identité. Puis, accompagnée de son avocate, elle s’est rendue au tribunal pour témoigner. Pas un tribunal ordinaire fait de murs et d’un toit, mais un chapiteau de toile verte, ouvert aux quatre vents, planté au centre de Kiwanja, un gros bourg rural du département de Rutshuru, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Face aux juges militaires et aux hommes qui l’avaient violée, la jeune fille de 17 ans, originaire d’un village situé à quelques kilomètres de là, a décrit ses deux jours de calvaire dans la brousse avec les autres femmes kidnappées. Comme elles, Jeanne* était juste partie au champ et à la rivière pour prendre de l’eau.

« Audiences foraines »

Le 14 juin, après quatorze jours de procès durant lesquels, outre son cas, 28 autres affaires étaient traitées, le verdict est tombé. Onze condamnations à mort et quatre acquittements, énoncés par un magistrat en treillis debout devant une table en bois recouverte du drapeau congolais.

« Je suis soulagée que mes bourreaux soient condamnés. Je me sens plus calme même si, maintenant, il est difficile de rester vivre dans mon village. Je suis devenue un sujet de moquerie. » Et la peur n’a pas disparu.

« Tous n’ont pas été arrêtés. Ils peuvent revenir. Avec l’argent des enlèvements, ils ont des armes, de la drogue, de l’alcool et ils font n’importe quoi.  »

Pour raconter son histoire, Jeanne est venue par sécurité à Goma dans la clinique juridique créée par l’ONG Dynamique des femmes juristes. C’est ici qu’elle a trouvé le soutien pour aller jusqu’au bout de cette procédure débutée peu de temps après les faits, en janvier. En plus d’une avocate, elle a reçu l’assistance d’une psychologue et a pu voir un médecin à l’hôpital Heal Africa. « J’ai décidé de porter plainte parce que je n’étais plus contente, je n’étais plus joyeuse », explique t-elle avec ses mots d’adolescente, dans une pièce privée de lumière par une coupure d’électricité, les deux mains sagement posées sur ses genoux.

Sa protection et les frais liés à la procédure (avocat, transport, hébergement), sans oublier l’histoire qu’il a fallu inventer pour justifier son absence, ont été assurés par les Nations unies dans le cadre de la politique de lutte contre l’impunité dans l’est de la RDC. Les « audiences foraines », qui permettent de délocaliser le tribunal de Goma, chef-lieu administratif du Nord-Kivu, sont censées améliorer l’accès à la justice et la perception qu’en a la population, otage depuis plus de vingt ans des conflits régionaux, des bandes armées, avec les crimes de masse qui les accompagnent. Les femmes en sont les premières victimes. Tout comme elles sont les premières victimes des agressions individuelles qui se multiplient.

Seulement 22 % des personnes interrogées font confiance aux audiences foraines et moins encore aux tribunaux militaires pour assurer une justice équitable

L’étude publiée en juin 2015 par des chercheurs de Harvard Humanitarian Inititiative donne une idée du chemin à parcourir pour que les citoyens se sentent protégés : dans le Rutshuru, seulement 22 % des personnes interrogées font confiance aux audiences foraines et 19 % aux tribunaux militaires pour leur assurer une justice équitable. Masiala Mulahuko, qui dirige le programme d’appui à la justice de transition dans l’est de la RDC pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en est conscient : « Il existe une immense défiance, mais les efforts réalisés pour améliorer la situation commencent à être perçus. »

Plus de condamnations

Les raisons de cette défiance sont nombreuses : auteurs de viols notoirement connus laissés en liberté, mystérieuses évasions de prévenus à la veille des procès, indulgence des juges à l’égard des soldats des Forces armées de la République démocratique de Congo (FARDC). A cela s’ajoute le fait que, à de rares exceptions, les victimes doivent payer pour déposer plainte.

Le bilan de quelques procès emblématiques a aussi laissé des traces dans les esprits. Comme celui de Minova (Sud-Kivu) impliquant 39 militaires issus de six garnisons de l’armée congolaise dans le viol d’au moins 76 femmes et enfants en novembre 2012. Après six mois d’instruction et quarante jours d’audience, seuls deux sans-grade ont été condamnés en 2014. Les officiers ont tous été acquittés.

« La situation s’est améliorée. Il y a plus de dénonciations, plus de condamnations aussi. Le personnel judiciaire est mieux formé et dispose de plus de moyens pour instruire les dossiers », tempère Me Charles Guy Makongo, qui dirige l’Initiative pour l’Etat de droit de l’Association du barreau américain (ABA) à Goma. Il faisait partie des avocats des parties civiles à Minova. L’ABA, avec sa trentaine d’avocats, a assisté environ 20 000 victimes depuis 2008.

L’unité de police judiciaire de Goma pour la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles est l’un des rares endroits où les victimes peuvent déposer plainte gratuitement. | DR

Certes les condamnations tombent. Et même, comme à Kiwanja, plus dures que ne le voudraient les fonctionnaires onusiens embarassés par les sentences de peine de mort, même si elles ne sont pas appliquées en vertu d’un moratoire. « La RDC a ratifié des conventions internationales qui bannissent la peine capitale », rappelle Masiala Mulahuko, du PNUD. Le ministère public fera appel pour tenter de « corriger » la condamnation.

« Ces procès ne sont pas équitables. Beaucoup d’accusés se voient désigner un avocat qu’ils n’ont même pas eu le temps de voir avant le procès. On a l’impression que ce qui compte, c’est de condamner pour montrer qu’il n’y a pas d’impunité », déplore Me Olivier, du barreau de Goma. Me Moreau Shamanda a assisté les prévenus de Kiwanja :

« J’ai été nommé un mois avant le début du procès. J’ai eu le temps de voir chacun des quinze prévenus deux fois. Mais, lorsqu’il y a six chefs d’accusation dont celui de crime contre l’humanité, c’est court pour préparer une défense de qualité. »

L’ONU est sensible à la critique. « Nous veillons à ce que les procès se déroulent dans de bonnes conditions. Les prévenus qui n’ont pas les moyens de financer leur défense sont aussi pris en charge », explique Hanan Talbi, qui dirige l’unité spécialisée de protection des victimes et des témoins de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco).

Cellules aux normes

La fonctionnaire en poste depuis quatre ans dans le pays considère que « c’est avec des dossiers massifs dans lesquels les chefs seront condamnés qu’il sera possible de changer les mentalités. Cela doit aussi permettre de produire une jurisprudence dont nous avons besoin ». Dix-sept dossiers à traiter en priorité ont été sélectionnés avec l’aide de l’International Center for Transitionnal Justice (ICTJ) pour l’ensemble de la RDC. La majorité se trouve dans le Nord et le Sud-Kivu. Quatre dépendent de Goma.

C’est aussi une question de moyens. La RDC n’a pas le moindre dollar pour mettre sur pied et faire fonctionner cette machine judiciaire. Du transport du juge au stylo de l’officier judiciaire en passant par l’avocat de la victime, tout dépend de financements extérieurs.

Vitrine de cette « nouvelle justice » que s’efforcent de porter les bailleurs internationaux : l’unité de police judiciaire de Goma pour la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles. Soixante personnes, dont huit femmes, formés aux techniques d’investigation, à la rédaction des procès-verbaux et au fichage des suspects.

« Nous avons les meilleurs officiers de police judiciaire de la police nationale du Congo. Les gens font des kilomètres pour venir se plaindre, gratuitement, ici », affirme fièrement le colonel Marie Bagalet. Dans la cour, un auvent a été construit où des dizaines de personnes attendent à l’abri du soleil. « Nous sommes presque les seuls à avoir quatre cellules aux normes », poursuit-elle. Mais ce matin de juin, les cellules sont vides. La fosse septique est bouchée, il n’y a pas d’eau. L’odeur est trop forte pour laisser les prisonniers enfermés dans une des cellules sans ouverture, et d’où les paillasses ont disparu lors d’un pillage en 2012. Le colonel attend que les Nations unies envoient le plombier.

*Le prénom a été modifié.