En grandissant au Ghana, j’ai appris à quel point l’harmattan peut être violent. Ce vent sec et poussiéreux du Sahara balaie l’Afrique de l’Ouest de novembre à mars. Il apporte avec lui des tempêtes de poussière qui abîment les voies respiratoires, les yeux et la peau, et des vagues de froid soudaines qui peuvent mettre en danger les personnes vulnérables. Aujourd’hui, le changement climatique menace d’aggraver le risque que représente l’harmattan, qui devient plus violent et moins prévisible, et déplace encore davantage de poussière.

La menace grandissante de l’harmattan illustre particulièrement à quel point il est important de collaborer afin de protéger la santé publique contre les effets du changement climatique. Dans ce cas particulier, nous devons faire en sorte que des prévisions météorologiques précises franchissent le « dernier kilomètre » et atteignent les populations qui se trouvent sur sa trajectoire afin de leur permettre de se mettre à l’abri.

Les effets de l’harmattan

Le risque global que le changement climatique fait peser sur la santé de l’homme est extrême. La Commission 2015 du Lancet sur la santé et le changement climatique a été catégorique à cet égard : « Le changement climatique peut compromettre les cinquante dernières années de progrès en matière de santé publique et de développement. »

Le changement climatique va amplifier et multiplier les risques qui pèsent actuellement sur la santé et ce, dans de nombreux cas, de façon considérable. Ses effets se feront sentir le plus durement dans les pays à revenu faible et intermédiaire d’Afrique et d’Asie du Sud.

L’Accord de Paris, obtenu lors de la COP21 de décembre 2015 et qui a suscité une mobilisation sans précédent de la part des gouvernements sur la question du changement climatique, souligne l’ampleur de la menace que celui-ci représente pour la santé. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un programme d’actions complet qui accorde une place centrale aux populations et à leur santé dans la lutte mondiale contre le changement climatique.

Les effets de l’harmattan nous montrent par où commencer : améliorer la collecte des informations climatiques et météorologiques, préparer des prévisions – y compris concernant les tempêtes de sable et de poussière – et diffuser des alertes météorologiques auprès de ceux qui en ont besoin.

Les centres régionaux et mondiaux de prévision de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) disposent des supercalculateurs, des modèles et des experts nécessaires à l’élaboration de prévisions et à leur diffusion auprès des autorités nationales.

Toutefois, les services météorologiques nationaux sont souvent dépourvus des moyens qui leur permettraient d’interpréter et de diffuser leurs prévisions auprès des autorités, des professionnels de la santé et du grand public. Un investissement minime suffirait pour fournir le matériel, les moyens de communication, les effectifs, la formation et la coordination dont ces services ont besoin pour diffuser en temps utile des alertes précises à l’intention de certaines des régions les plus pauvres du monde.

Recours à l’intelligence climatique

Pour protéger la santé des populations contre les risques climatiques, nous devons transformer notre façon d’aborder ces problèmes complexes. C’est la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’OMM œuvrent de concert pour aider les professionnels de la santé publique à acquérir une « intelligence climatique » en utilisant des informations climatiques et météorologiques afin de prendre les meilleures décisions.

Dans les régions où la nécessité de développer une intelligence climatique est la plus urgente cependant, comme en Afrique et dans les petits Etats insulaires en développement, de nombreux professionnels de la santé n’utilisent pas encore les prévisions de sécheresses, d’inondations ou de températures extrêmes. Ceci est principalement dû au fait que les services météorologiques nationaux ne disposent pas des financements, des outils, des formations ou des arrangements institutionnels nécessaires pour générer ou diffuser ces prévisions.

Comment pouvons-nous changer cela ? Nous devons soutenir les services météorologiques et climatiques des pays en développement de sorte qu’au lieu de se confiner à la collecte et à la fourniture de simples données, ils puissent devenir des fournisseurs fiables d’informations et de connaissances à destination du public.

Pour ce faire, ils doivent avoir accès aux technologies de gestion et de communication des données qui ont déjà été testées dans d’autres secteurs, telle l’agriculture, où le recours à l’intelligence climatique est en train de devenir la norme.

Nous devons accorder une plus grande importance à la transmission rapide des informations dont les populations ont besoin afin de se protéger des conditions climatiques extrêmes. Les alertes rapides peuvent non seulement aider les collectivités à réagir et à s’adapter aux risques sanitaires posés par le changement climatique, mais elles peuvent également contribuer à mieux faire connaître les causes et les conséquences du changement climatique – et, partant, à mobiliser le soutien public en faveur des politiques visant à renforcer la résilience et à atténuer l’impact du changement climatique.

Prise de conscience croissante

Le changement climatique complique les difficultés déjà considérables entravant la prestation des services de santé dans le monde entier – et ces complications se font le plus vivement sentir dans des pays les plus pauvres du monde. Mais je suis convaincu que la prise de conscience croissante des liens qui existent entre la santé et le changement climatique encouragera les professionnels de la santé, les organismes des Nations unies, les agences gouvernementales, les décideurs politiques et la communauté scientifique, à se rassembler dans le but de résoudre ces problèmes.

La dernière fois que l’harmattan a balayé le Ghana, j’étais là pour le voir. Le ciel s’est obscurci pendant plusieurs jours. J’ai pensé aux habitants des régions rurales et reculées, pris au dépourvu par les tempêtes soudaines de sable et de poussière. Nous avons les moyens de les aider – non seulement aujourd’hui, mais aussi demain, lorsque le changement climatique fera empirer les choses. Nous devons unir nos forces afin de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider.

Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies et prix Nobel de la paix 2001, est président de la Kofi Annan Foundation, qui mobilise la volonté politique pour vaincre les menaces pesant sur la paix, le développement et les droits humains. Il est aussi président de l’Africa Progress Panel, un cercle de réflexion basé à Genève.