Lundi 18 juillet, la promenade des Anglais étaient recouvertes de fleurs et de mots en hommage aux personnes tuées dans la nuit du 14 juillet. | VALERY HACHE / AFP

Depuis la nuit du 14 au 15 juillet, ils racontent l’indicible, en boucle, de la voix atone de ceux que le malheur a frappé si fort que rien ne peut plus les ébranler. Comment tiennent-ils toujours debout ? « C’est notre petit qui nous donne cette force », assurent-ils.

Samira Rouibah, 33 ans, et Mickaël Coviaux, 32 ans, s’aiment depuis le lycée. Originaires de Grenoble, tous deux chauffeurs de poids lourd, ils se sont installés à Nice il y a trois ans, avec leur enfant unique, Yanis, « à la recherche de soleil et de bonne humeur ».

Ils se sentaient exaucés, jeudi soir, en déambulant avec leur fils et des amis sur la promenade des Anglais après le feu d’artifice. Yanis, 4 ans et demi, les avait suppliés de l’emmener, eux qui ne s’y rendaient jamais. « Notre voisine, Mino Razafitrimo, y allait avec ses fils de 4 et 6 ans, Andrew et Amaury, les copains de Yanis, et avec quatre autres personnes de sa famille », explique Samira.

« Où est mon fils ? »

C’était jour de fête et le coquet élève de moyenne section de maternelle avait tenu à porter la chaîne et le médaillon frappé d’une sourate du Coran offert par sa grand-mère maternelle à sa naissance. « Une sourate de protection », précise Samira. Le bijou était intact quand Samira et Mickaël ont trouvé Yanis, gisant au côté de Mme Razafitrimo à hauteur du Voilier Plage, une concession en contrebas de la promenade sur laquelle Mohamed Lahouaiej Bouhiel a semé la mort.

C’était jour de fête, Yanis avait tenu à porter le médaillon frappé d’une sourate du Coran offert par sa grand-mère

Yanis se trouvait une vingtaine de mètres devant ses parents, avec Mino et ses fils. « Ils venaient de manger une glace et faisaient les fous », sourit son père. Tous marchaient vers l’ouest pour rejoindre la voiture quand Mickaël a vu un camion frigorifique blanc qui zigzaguait. En une poignée de secondes, il a fondu sur eux. « Il allait bien à 60, 70 km/h. Le moteur hurlait comme si le conducteur avait le pied au plancher sans plus se soucier de passer les vitesses. J’ai poussé ma femme sur le côté, elle criait où il est mon fils ! Puis on a vu Yanis et Mino à plat ventre. »

C’était jour de fête, Yanis avait tenu à porter le médaillon frappé d’une sourate du Coran offert par sa grand-mère

Samira et Mickaël ont voulu croire au miracle. Le petit corps déjà sans vie de Yanis dans les bras, ils ont couru vers l’hôpital pédiatrique Lenval. « Il avait encore le sourire aux lèvres, raconte Mickaël. On refusait de croire qu’il était parti. » Au bout de 600 mètres, deux jeunes Maghrébins, il « tient à le préciser », ont embarqué le couple et l’enfant dans leur voiture. « Un peu plus loin, on a trouvé un camion de pompiers, dit Samira. Ils l’ont intubé, perfusé, ils ont tout tenté… »

Taraudé par des questions

Dans l’intervalle, Mickaël est reparti en courant en sens inverse au chevet de Mino, 31 ans. « On a assis ses enfants sur un banc face à la mer pour qu’ils ne voient pas », dit-il. Impuissant, il est allé retrouver Samira. Enveloppé dans un drap blanc, Yanis reposait sur la promenade. Ses parents hébétés sont restés là, le serrant contre eux, jusqu’à ce qu’une ambulance avec un autre blessé très mal en point les conduise à la chambre mortuaire de l’hôpital Pasteur. « Samira me disait, couvre-le bien”, il va avoir froid. Il y avait beaucoup de vent », se souvient le père.

Au psychiatre qu’on leur a présenté, les parents de Yanis n’ont rien trouvé à dire. « Les mots, on les avait hurlés en courant sur cette route », dit Mickaël. Ils ont demandé à embrasser leur fils. « J’ai mis sa chaîne et son médaillon en évidence sur le drap. Ce salaud a écrasé mon bébé mais il est parti avec son Coran », raconte Samira. Cependant, la Maison d’accueil des victimes lui a depuis restitué la chaîne de Yanis, cassée et sans médaillon. « C’est comme si on s’en était pris à lui une deuxième fois, s’insurge-t-elle. Je vais demander des explications. »

Le couple est taraudé par d’autres questions. Mickaël gronde :

« C’est notre métier, on sait que les voies d’accès sont interdites aux véhicules de plus de 3,5 tonnes et que les poids lourds ne roulent pas les jours fériés. Comment celui-là a-t-il pu passer ? Et pourquoi tout le temps qu’on a couru, on n’a pas croisé un seul policier ? La sécurité était bien plus au point pour l’Euro. »

Yanis sera inhumé vendredi 22 juillet à Grenoble, où le couple a décidé de repartir. « C’est trop dur de rester ici sans lui, avec ses copains qui le demandent et qui cherchent leur mère », explique Samira.

Chaque jour, elle et Mickaël viennent s’asseoir au niveau du Voilier Plage sur la promenade. Devant une photo de Yanis, rieur, fixée à la rambarde, les passants déposent des fleurs. En contrebas, les vagues roulent paresseusement sur les galets et les touristes barbotent. « On ne peut pas interdire aux autres de vivre », souffle Samira.