Des Gambiens réunis dans un appartement de Canton, en juin 2016. | Manon Diederich

« On m’avait dit que la vie était meilleure là-bas. Que je pourrais gagner de l’argent, aider ma famille ». A 25 ans, Lamin Cessay a des rêves plein la tête. Alors il a récolé juste de quoi s’offrir le voyage de sa vie : « Mon oncle a vendu son taxi et il m’a donné deux mille dollars. A cette époque, tous mes amis étaient au chômage. Il n’y avait aucun avenir pour nous. Alors j’ai quitté la Gambie, je suis parti au Sénégal puis en Chine. »

C’est là que le cauchemar a commencé. Débarqué à Canton une métropole de plus de douze millions d’habitants surnommée « Chocolate City » par les Chinois en raison de l’importance de la diaspora africaine dans la ville, Lamin Cessay perd vite ses repères et son argent. « Le premier jour j’ai cherché une chambre pendant plus de deux heures pour dormir, se souvient-il. Il faisait froid. Je n’avais nulle part où aller, je ne parlais pas la langue. La nuit je voyais beaucoup d’Africains dans le quartier de Xiaobei où je m’étais installé. Mais le matin, en me réveillant, ils n’étaient plus là… J’ai compris trop tard que ce pays n’était pas fait pour nous. »

Une chambre misérable

Trois mois après son arrivée, Lamin Cessay n’a toujours pas d’emploi. Il n’a plus d’argent et partage une chambre misérable avec une vingtaine d’autres Gambiens : « Nous dormions quatre heures chacun à tour de rôle pour partager les matelas. Quand je suis arrivé, tout était si beau, si brillant. C’était mon premier voyage à l’étranger alors j’étais forcément émerveillé par tant de modernité. Et puis j’ai vite souffert du racisme et de la discrimination. Les Chinois ne veulent pas de nous pour travailler et la police nous contrôle en permanence, parfois violemment. J’avais peur... »

Pour raconter son cauchemar et celui d’une cinquantaine d’autres Gambiens perdus en Chine, Lamin créé alors une page Facebook. Intitulée « Le cauchemar des Gambiens de Chine », elle est suivie par plus de 300 personnes et alimente les conversations sur Internet.

« Ecoutez-nous », disent-ils. Un site Web a ensuite vu le jour : uturnasia.com. Textes, photos et vidéos racontent l’impasse dans lequel se trouvent ces jeunes. C’est une doctorante de l’Université de Cologne, Manon Diederich, qui décide de leur venir en aide.

« J’ai été touchée par leur malheur, raconte-t-elle. J’étais en Chine en train d’étudier l’impact des migrations africaines à Canton. Ils avaient besoin de raconter leur histoire pour que leur famille comprenne que la situation pour eux sur place est désespérée et qu’il n’est pas honteux de rentrer. »

La Chine a longtemps été une terre d’opportunités pour les Africains. Ils seraient encore aujourd’hui entre 20 et 100 000 installés essentiellement dans cette métropole du Sud-est, à une encablure de Hong Kong. Un comptoir ouvert sur le monde et sur l’Afrique depuis plus de 2000 ans.

« La Chine est aujourd’hui très présente dans la vie quotidienne des Africains, explique Manon Diederich. Mais elle est aussi moins connue que l’Europe dans l’imaginaire des jeunes et ils sont donc moins préparés au choc qui les attend sur place. »

« Dans une prison chinoise »

La crise en Europe et en Chine a aussi changé la donne et pour ces jeunes africains, il faudra sans doute chercher ailleurs un nouvel Eldorado. Pour Lamin ce fut d’abord la Thaïlande. « J’ai attendu le dernier jour de mon visa pour finalement quitter la Chine, se souvient-il. J’y ai cru jusqu’au bout. Mais j’avais peur de la police, peur de me retrouver comme beaucoup d’autres dans une prison chinoise après l’expiration de mon visa. » A Bangkok, ce n’est finalement guère mieux : « Il n’y a pas de travail pour nous non plus là-bas. Personne ne nous attend. » Alors il rentre en Gambie, l’âme en peine.

« Je suis plus déçu qu’en colère, explique-t-il. Je vois ici, en Gambie, beaucoup de Chinois et ils n’ont pas de problème pour vivre chez nous. Mais là-bas, c’est l’inverse. En tant qu’Africains nous sommes discriminés. Je suis surtout choqué de voir comment nous sommes traités en Chine comparé à la façon dont les Chinois sont traités en Afrique. Mais je suis en colère contre les agences qui nous vendent des rêves et des visas pour l’étranger. Je cherche aujourd’hui à mettre en garde mes compatriotes. Je veux parler dans les médias pour raconter mon histoire : je dis aux jeunes Gambiens, ne partez pas en Chine pour chercher du travail ! Il n’y en a pas. Il n’y a rien pour vous là-bas... »

Il y a une longue tradition d’émigration chez les Gambiens puisque 4% de la population vit à l’étranger. « Pour les Gambiens de Canton, la situation est sans doute plus désespérée que pour les autres, décrit Manon Diederich. Ils n’ont aucun réseau sur place pour les intégrer à la vie locale. Certains arrivent à travailler dans les cuisines de petits restaurants africains, ils font les livraisons et la vaisselle. Mais ils ne gagnent jamais assez pour vivre, même en travaillant douze heures par jour. La plupart des Africains se regroupent en communautés et certains sont plus nombreux, donc plus forts. C’est le cas des Nigérians et des Ghanéens ! Il existe parfois des caisses de solidarité, où chacun cotise quelques dizaines d’euros pour aider les nouveaux arrivants à prendre pied. Ça fonctionne bien par exemple avec la diaspora sénégalaise. Certains réussissent et peuvent créer leur commerce ou se lancer dans l’import-export avec succès. »

Nettoyage du quartier africain

Depuis quelques mois, la police chinoise a intensifié son grand nettoyage du quartier africain de Canton. A Xiaobei, les voitures de police sont partout et les contrôles quotidiens. Les petites rues où l’on vendait en plein air des contrefaçons et des plats épicés ont laissé place à des immeubles modernes. La « ville chocolat » se refait une vitrine.

Car la Chine aussi a ses problèmes. Les usines du Delta de la rivière des perles n’embauchent quasiment plus et beaucoup de jeunes Chinois se retrouvent eux aussi à la recherche d’un petit boulot dans les rues de Canton ou autour de la grande gare. « Canton est une ville cosmopolite, mais tellement hétérogène qu’il est illusoire d’y parler d’intégration, assure Manon Diederich. Que ce soient les jeunes Chinois venus des campagnes, les musulmans hui et ouïghours, ou les jeunes Gambiens tout juste débarqués du continent… Tout le monde doit se battre pour survivre. »

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.