Mercredi, l’ascension finale la plus difficile de ce Tour de France vers le barrage de Finhaut-Emosson ; jeudi, un court contre-la-montre réservé aux grimpeurs, sur les routes du titre mondial de Bernard Hinault en 1980 ; vendredi, une étape courte tracée autour du Mont-Blanc s’achevant sur une montée irrégulière, convenant aux petits gabarits ; samedi, une nouvelle étape courte s’achevant sur la descente technique de Joux-Plane, dernière difficulté du Tour, que les coureurs aborderont après le col de la Ramaz.

Ces quatre journées terribles pour les jambes des coureurs, que tout le peloton attend avec angoisse depuis le départ du Mont-Saint-Michel, sont devant lui. Pourtant, le Tour de France semble déjà joué. Que peut-on attendre de cette courte dernière semaine du Tour ?

Journée détente pour Chris Froome, patron du Tour. | JUAN MEDINA / REUTERS

Chris Froome peut-il craquer ?

Ça ne lui est jamais arrivé. A l’Alpe-d’Huez en 2015, lorsque Chris Froome a perdu une minute et demie sur Nairo Quintana, il n’était certes pas à son meilleur niveau, mais cela n’avait rien d’une défaillance. Pour que le Britannique perde au cours d’une seule étape deux minutes sur Bauke Mollema ou plus de trois minutes sur le reste de ses adversaires, il lui faudrait une panne de jambes ou une fringale.

Etant donné l’expérience de Froome, le fait qu’il soit accompagné jusqu’au dernier col par ses coéquipiers et le penchant de Sky pour les ravitaillements (illégaux) dans les vingt derniers kilomètres, une fringale semble impossible.

Quant au mauvais jour, Sean Yates, ancien directeur sportif de Sky, désormais chez Tinkoff, n’y croit pas : « En théorie, n’importe qui peut craquer, mais c’est à mon avis peu probable que Froome craque. Je pense que c’est dans la poche pour lui », a-t-il dit au site spécialisé Cyclingnews. « Je ne le vois pas avoir un mauvais jour », confirme son homonyme Adam Yates, troisième du classement général.

Froome confirme : « J’ai l’impression d’être plus prêt que jamais pour cette troisième semaine, notamment parce que j’ai commencé ma saison plus tard. Au début de la course, j’ai dit que mon ambition était d’être à mon meilleur niveau en troisième semaine et je pense être sur la bonne voie. Ce n’est pas comme lors des deux Tours que j’ai gagnés, où je ne faisais que m’accrocher. »

Il faudrait également des attaques pour exposer la faiblesse du maillot jaune, et ce n’est pas la tendance, à la fois parce que son équipe est intimidante et parce que ses poursuivants se contentent d’une place qu’ils n’ont, hormis les Movistar, jamais occupée.

Le maillot jaune, lui, continue de dire que le Tour de France n’est pas fini. Dire le contraire ferait davantage pâlir l’éclat de son maillot jaune, qu’il cherchera sans doute à conforter avec une victoire d’étape dans les Alpes… mais pas dès mercredi, à l’en croire.

« Il faut que j’aie une bonne raison pour attaquer, étant donné mon avance au classement général. Je ne vais pas attaquer pour attaquer. Il y a, dans l’esprit de tous, ces quatre prochaines journées qui sont si difficiles que tout effort inutile nous fera puiser dans nos réserves. »

Bauke Mollema, surprenant deuxième du Tour, lors de la journée de repos à Berne (Suisse). | Peter Dejong / AP

Qui montera sur le podium ?

Derrière Froome et Mollema, onze hommes se tiennent en trois minutes, d’Adam Yates, troisième, à Joaquim Rodriguez, treizième. Et comme Bauke Mollema a montré par le passé ses difficultés à tenir le même rythme sur trois semaines – en 2013, il était deuxième après les Pyrénées, sixième à l’arrivée –, deux places sont sans doute à prendre pour douze prétendants.

Les Pyrénées, le Ventoux même, ne permettent de tirer aucune conclusion. Mercredi, tout change. Sur ces quatre jours dans les Alpes, la capacité à récupérer des efforts, à se ménager des temps de repos loin des médias et à garder la tête froide dans les moments-clés décidera de l’ordre final. Car hormis Nairo Quintana, aucun des suivants de Froome n’est fondamentalement supérieur à l’autre. Comme l’ont montré les premières ascensions et le reste de leur carrière.

« Dans le top 10, chacun est plus ou moins au même niveau, mais dès que vous avez un mauvais jour, vous perdez du temps, on l’a vu avec Tejay Van Garderen l’autre jour (dans le Jura) », observe Adam Yates. « Personne n’est encore frais. (…) Tout le monde ne fait que tenir, tenir », ajoute le Britannique.

La course pour le podium serait donc une course d’usure. Romain Bardet pense cependant qu’une journée, l’une des deux dernières, verra une équipe faire exploser la course d’entrée et chambouler le classement général.

« Le niveau est très haut sur ce Tour de France, en termes de vitesse ascensionnelle. Et forcément, à un moment donné, certains ne vont pas pouvoir tenir ce rythme. Il va falloir être fort psychologiquement.

Il va y avoir un moment une fenêtre et il faudra être présent ce jour-là, car il y aura peut-être une seule étape où il y aura vraiment des écarts, celle où la course s’emballera d’entrée. Le contre-la-montre va être important, mais je crois que les écarts ne seront pas énormes. »

Pourrait-il s’agir de la Movistar ? Nairo Quintana a encore promis, mardi en conférence de presse, qu’il attaquerait dans les Alpes. Bardet y croit : « Je le vois mal baisser les bras. Je pense qu’il bluffe un peu son monde. Je vois les Movistar tenter le tout pour le tout à un moment donné. »

Romain Bardet est sixième du classement général avant les Alpes. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Les Français sauveront-ils leur Tour ?

Le cyclisme français, auréolé de belles performances dans les courses World Tour cette saison, s’avançait vers sa course avec l’ambition de tout casser, dans la chasse aux étapes et même, chose nouvelle, aux premières places du classement général.

Mais ce Tour de France n’a été, pour les ambitions tricolores, qu’une longue série de déceptions : Nacer Bouhanni s’est mis hors jeu avant le départ ; Bryan Coquard, depuis sa deuxième place pour trois centimètres à Limoges, a depuis pêché par mésentente avec son poisson-pilote Adrien Petit ; Tony Gallopin n’a pas ses jambes des années précédentes ; Julian Alaphilippe est passé près à deux reprises mais aura sans doute plus de mal dans les Alpes ; Thibaut Pinot a été affaibli par un virus et s’est retiré de la course ; Warren Barguil n’a pas la même forme que sur le récent Tour de Suisse (deuxième) ; Pierre Rolland s’est blessé à un genou dans la première étape des Pyrénées et traîne sa peine depuis.

Seul Romain Bardet a donc été au niveau attendu. Et si son objectif de départ était de se rapprocher du top 5, il peut désormais envisager de monter sur le podium, comme le dit son patron Vincent Lavenu. Même Bardet, d’un naturel prudent, l’évoque du bout des lèvres :

« Je suis à proximité immédiate du podium [1 min 19 s]. Je ne vais pas sauver une sixième place, ça ne m’intéresse pas, mais je ne vais pas courir non plus de manière désordonnée. (…) Ma forme a toujours été bonne en troisième semaine. Je ne suis pas en train de vous vendre que le meilleur est à venir, mais je l’espère vraiment. (…) J’essaie de garder mon énergie et de me raisonner, en me disant que la fenêtre va arriver et que, quand elle arrivera, il faudra que je sois prêt. »

Pour les victoires d’étape, désormais réservées à l’élite des grimpeurs, il faudra aux Français beaucoup de réussite. Pierre Rolland, Alexis Vuillermoz et Warren Barguil auront la possibilité de prendre des échappées, mais auront-ils les jambes pour conclure ? A moins que Bryan Coquard, deuxième sur les Champs-Elysées en 2015, ne progresse d’une marche ? Le dernier Tour de France sans victoire d’étape tricolore remonte à 1999. Mais cette année-là, Richard Virenque avait remporté le maillot à pois.

Un employé de l’Union cycliste internationale contrôle les vélos de l’équipe Tinkoff sur le Tour de France. | JEFF PACHOUD / AFP

Le Tour 2016 s’achèvera-t-il sans affaire de dopage ?

Si l’on omet le cas positif de Luca Paolini à la cocaïne en début de Tour l’an dernier, conséquence selon lui d’une addiction à cette drogue et aux somnifères, le dernier contrôle positif sur le Tour remonte à 2012 (Fränk Schleck, diurétique).

Cela est tout aussi inquiétant pour l’efficacité de la lutte antidopage que pour la santé du peloton. Si le rythme de la douzaine de leaders au classement général est très élevé, comme l’a souligné Romain Bardet en conférence de presse, il est cohérent avec ce qu’ils ont déjà réalisé par le passé… à l’exception du Néerlandais Bauke Mollema, qui a réalisé sur le mont Ventoux, à 29 ans, la meilleure ascension de sa vie en compétition.

Les contrôleurs de la Cycling Anti-Doping Foundation (CADF), fondation antidopage de l’Union cycliste internationale (UCI), continuent de contrôler dans leurs hôtels, le soir avant 23 heures, le matin juste après 6 heures, les têtes d’affiche du Tour. Ils ont tapé treize fois depuis le départ à la chambre des Sky. Ceux dont le passeport biologique présente quelques variations étranges font aussi l’objet de vérifications, mais ces derniers sont, selon nos informations, en nombre très restreint.

Surtout, aucun nom n’est entouré en rouge sur les listes des contrôleurs antidopage. Il est rare qu’aucune rumeur ne circule sur l’un ou l’autre coureur : c’est le cas cette année.

Un agent de la lutte antidopage souffle que l’effet dissuasif de la détection de microdoses d’érythropoïétine (EPO) par le laboratoire de Châtenay-Malabry a pu jouer, ainsi que la menace de contrôles de nuit désormais possibles en France.

Les vélos sont également contrôlés en très grand nombre, que ce soit au départ ou à l’arrivée par les détecteurs de rayonnement magnétique de l’UCI, les caméras thermiques spécialement présentes sur ce Tour de France et les contrôles à rayons X pratiqués lors de certaines étapes de montagne.

Cela n’empêche pas les soupçons d’utilisation de moteurs par de grandes figures du Tour de France, ces dernières années, de prospérer.

Le Tour 2016 survivra-t-il à la menace terroriste ?

Dispositif policier devant le podium de la deuxième étape, à Cherbourg-en-Cotentin. | Peter Dejong / AP

Dans les rues d’un village, leurs gilets jaunes passent difficilement inaperçus. Et encore moins leurs armes, bien mises en évidence. Policiers et gendarmes en faction assurent depuis le début du Tour une présence visible sur le parcours. A plus forte raison depuis l’attentat de Nice, lors des festivités du 14-Juillet. La menace terroriste, déjà présente dans les esprits au départ du peloton, l’est davantage à présent, alors même que l’Euro de football s’est achevé sans encombre.

L’ultime étape du Tour, comme chaque été, devrait faire converger vers les Champs-Elysées des milliers de spectateurs, en un lieu symbolique. A Paris, le 24 juillet, le sprint final marquera la fin de trois semaines éprouvantes pour le ministère de l’intérieur. Le ministre Bernard Cazeneuve, présent lors de la deuxième étape en son fief de Cherbourg-en-Cotentin, avait annoncé dès le mois de mai le dispositif : 23 000 policiers et gendarmes, contre 20 000 l’an passé, auxquels s’ajoutent pour la première fois des membres du GIGN, l’unité d’élite de la gendarmerie nationale.

Malgré toutes ces mesures, Sam Bennett, coureur irlandais de Bora-Argon 18, a fait savoir son appréhension. « Ma petite amie veut toujours venir me voir à Paris pour l’arrivée du Tour, mais maintenant je préférerais qu’elle ne vienne pas », confiait le dernier du classement général au matin du 15 juillet.