Si l’heure n’est pas encore officiellement au démantèlement de la zone nord, les autorités ont montré les muscles mardi 19 juillet dans la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), lors d’une opération d’envergure visant à contrôler les commerces sauvages, une première depuis la formation du camp. Concentrés le long d’un chemin de la zone nord, ces petits restaurants, cafés et autres salons de coiffure ont été visités par des agents de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), encadrés par un important dispositif policier.

Au total, six ou sept lieux de vente, sur une cinquantaine, ont été contrôlés, selon la préfecture du Pas-de-Calais. Treize personnes – dix Afghans et trois Pakistanais – ont été interpellées pour « vente à la sauvette », et leurs marchandises, saisies. Quatre d’entre eux passeront en comparution le 16 octobre au tribunal de Boulogne-sur-Mer, a annoncé le procureur chargé du territoire calaisien, Pascal Marconville. Certaines de ces petites boutiques ont également été fermées et pourront prochainement « être détruites », a ajouté la préfète Fabienne Buccio lors d’une conférence de presse.

C’est la première fois qu’une action à grande échelle est menée contre ces commerces, des lieux indéniables de sociabilisation qui ont fleuri depuis la formation de la « jungle » au printemps 2015. Ils s’attirent régulièrement de vives critiques des commerçants de Calais, qui dénoncent une concurrence déloyale. S’agit-il, comme l’affirme Christian Salomé, président de L’Auberge des migrants, « de faire fermer les lieux de convivialité pour décourager les migrants de rester ici » ? La préfecture ne le formule pas ainsi à ce stade. Et elle insiste sur le fait qu’il ne « s’agit pas du tout d’un démantèlement : c’est une étape importante mais qui n’engage peut-être pas l’avenir » et « rien n’est encore fixé à ce jour ».

Si les autorités restent évasives sur l’avenir de la zone nord, et alors que François Hollande avait annoncé sa venue à Calais avant le 14 juillet, la maire Les Républicains de Calais, Natacha Bouchart, a cependant affirmé le 11 juillet que son démantèlement serait annoncé « très prochainement ». Une information non démentie par la préfecture, qui a fait savoir que l’Etat n’avait « pas changé d’avis sur le fait qu’un campement insalubre » n’était « pas un projet de vie ».

Le plus grand bidonville de France demeure très densément peuplé

Malgré le démantèlement des 7,5 hectares de la zone sud de la « jungle » de Calais par l’Etat en mars, le plus grand bidonville de France demeure très densément peuplé, la majorité des migrants s’étant repliée en zone nord. Entre 50 et 70 arrivées quotidiennes sont observées, tandis que le passage en Grande-Bretagne demeure très difficile : la population augmente mécaniquement, malgré les solutions alternatives proposées par l’Etat.

Les autorités avaient recensé 3 700 migrants avant le démantèlement partiel, et 3 500 après, le 21 mars. Aujourd’hui, elles en dénombrent 4 500, dont 40 % d’Afghans. Le décompte de l’association L’Auberge des migrants, en accord avec les normes HCR mais critiqué par les autorités, faisait état de 7 000 migrants avant le démantèlement, 5 000 au début d’avril et 7 037 aujourd’hui.

La situation actuelle est donc très éloignée de l’objectif plusieurs fois réaffirmé de l’Etat de réduire la population à 2 000, soit le nombre total de places disponibles au centre d’accueil provisoire conteneurs (CAP, 1 500 aujourd’hui) et au centre Jules-Ferry, où 400 femmes et enfants peuvent dormir (223 aujourd’hui). La densité de la population a fortement augmenté, et avec elle l’effet « cocotte-minute » redouté par les associations. Le 26 mai, une rixe d’une ampleur inédite entre réfugiés afghans et soudanais avait fait 40 blessés.

Pour Anne-Lise Coury, porte-parole de la mission Médecins sans frontières à Calais, « on peut craindre une situation explosive pour les prochaines semaines ». Elle témoigne, ainsi que François Guennoc, de L’Auberge des migrants, d’une augmentation des agressions, des vols, et de l’insalubrité, avec notamment l’omniprésence des rats. Sur place, l’ambiance semble indéniablement plus tendue. François Guennoc déplore également que 1 200 personnes vivent sous des tentes, parce que son association n’a plus l’autorisation de fournir des cabanons aux migrants.

Le sous-préfet rappelle qu’un « dispositif d’enseignement » et un centre médical avec 16 lits de posthospitalisation ont été créés, de nouvelles latrines et des points d’eau ajoutés, et une dératisation effectuée. Cependant, selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon, en visite le 30 juin, les « conditions de vie [sont] indignes, non respectueuses des droits fondamentaux de l’homme et notamment des mineurs ».

Suspension de la ligne de ferroutage

Le 11 juillet, les acteurs économiques de la ville de Calais ont mené une opération escargot sur l’autoroute 16 (A16). Ils protestaient contre la lenteur du démantèlement de la partie nord du camp de migrants. Selon Antoine Ravisse, président du Grand Rassemblement du Calaisis, l’opération avait été pensée « de manière spontanée » à la suite de la suspension le 9 juillet de la ligne de ferroutage mise en service à la fin de mars qui relie l’Espagne à la Grande-Bretagne, en raison des intrusions de migrants.

« Les conditions de sécurité actuelles aux abords du port de Calais » ne permettent pas « à ce stade d’envisager sereinement la poursuite du service d’autoroute ferroviaire », avait affirmé le port de Boulogne-Calais dans un communiqué. Les autorités du port déploraient une « recrudescence (…) des intrusions de migrants dans les remorques transportées par train », dont les voies passent à proximité de la « jungle ».

Le jeu du chat et de la souris se poursuit quasi chaque nuit entre les migrants organisés par groupes tentant de monter dans des camions pour l’Angleterre, recourant depuis la semaine dernière à des cocktails Molotov sur la rocade pour les arrêter, et les forces de l’ordre qui usent de gaz lacrymogènes. Plusieurs membres d’associations parlent désormais aussi de Flash-Ball et de grenades de désencerclement.

Selon Gilles Debove, représentant SGP-FO de la police aux frontières (PAF) à Calais, « on est passé de dix barrages par jour à une trentaine » sur la chaussée pour forcer les camions à s’arrêter. Plus que jamais, les effectifs (380 gendarmes, 750 policiers, 560 CRS, nombre stable selon la préfecture) sont « éreintés », affirme M. Debove.

Barbelés et départs en CAO

En attendant, l’Etat avec l’aide financière de la Grande-Bretagne, a poursuivi l’installation de barbelés, déjà nombreux sur la rocade. En septembre débutera aussi la construction d’un mur de 4 mètres de haut et 1 ilomètre de long, végétalisé et antibruit, pour 2,7 millions d’euros.

L’Etat mise également sur les départs vers les centres d’accueil et d’orientation (CAO) – qui selon le sous-préfet sont au nombre de 80 à 100 chaque semaine –, où les migrants peuvent opter pour une demande d’asile. En 2016, 2 000 clandestins ont demandé l’asile depuis Calais, contre 2 800 pour toute l’année 2015. Par ailleurs, 800 procédures d’éloignement ont eu lieu en 2016. Mais, affirme la porte-parole de MSF, de nombreux CAO et CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile) sont aujourd’hui engorgés, ne permettant des départs de la « Jungle » qu’au « compte-gouttes ».

Quant à profiter du « Brexit » pour remettre en cause les accords du Touquet, fixant à Calais la frontière franco-britannique, François Hollande a répondu que cela n’avait « pas de sens ».