Milo Yiannopoulos, sur le plateau du talk show libertarien « The Rubin Report ». | Capture d'écran

Il est « l’un des pires trolls de Twitter », selon le site américain The Verge ; « l’ultime troll » pour Fusion ; « le plus fabuleux superméchant d’Internet », selon ses propres termes. Cheveux peroxydés, lunettes de soleil et gilet pare-balles sur des épaules nues : c’est ainsi que le Britannique Milo Yiannopoulos, 32 ans, s’est présenté dans la nuit de mardi 19 à mercredi 20 juillet au pupitre d’une soirée de soutien des militants LGBT pro-Trump, ouvrant son discours par un étonnant fait de gloire. « Je viens de me faire bannir de Twitter », s’est-il félicité, devant la journaliste de BuzzFeed Rosie Gray, qui a immortalisé la scène.

En l’occurrence, Twitter a décidé de son exclusion après la campagne de harcèlement raciste d’une violence inouïe subie par l’actrice afro-américaine Leslie Jones, actuellement à l’affiche du nouveau S.O.S. Fantômes aux Etats-Unis. Milo Yiannopoulos en est porté responsable, après qu’il s’est publiquement, et à plusieurs reprises, moqué de l’actrice en début de semaine.

L’exubérant journaliste du site néoconservateur Breitbart n’en est pas à sa première suspension de compte sur le réseau social : il avait déjà été sanctionné en juin, suite à la tuerie d’Orlando qui a fait 49 morts dans une boîte gay, pour des propos islamophobes. Mais cette suspension-ci est définitive, a assuré le réseau social à BuzzFeed.

« Personne ne mérite d’être la cible d’une campagne de harcèlement en ligne, et nos règles interdisent d’inciter ou d’inviter à viser d’autres utilisateurs », s’est justifié Twitter. L’homme préfère raconter qu’il a été banni « pour s’être engagé dans un combat avec une chasseuse de fantômes noire ».

Narcissique, raciste et homophobe

Provocateur, fantasque, séducteur, Milo Yiannopoulos, également connu sous son pseudonyme de Nero, jubile de la situation : être cloué au pilori, c’est pour lui presque un mode de vie, une stratégie, et il entend bien tirer avantage de cette suspension de son compte. « Comme tous les actes de la gauche régressive totalitaire, cela leur explosera à la face, m’attirant encore plus de fans me vénérant », s’est-il félicité dans les colonnes de Breitbart.

L’homme est narcissique, et ne s’en cache pas. Dans un article de Breitbart intitulé « Ma célébrité : une mise à jour » [sic], il énumère avec fierté le nombre de ses abonnés YouTube (200 000), Twitter (300 000), et la croissance exponentielle des recherches à son nom sur Google. « Je suis deux fois plus important que les journalistes des autres médias, considérés comme plus grands et influents, invités partout où je ne suis pas autorisé. […] Ils sont le passé, je suis l’avenir. »

Quelle est son influence réelle ? Difficile à dire. Mais, que ce soit par adhésion ou par goût de la dérision ou du conflit, une importante communauté d’internautes se régale de ses provocations, le soutient et le suit dans ses saillies sexistes, racistes ou homophobes. A travers le hashtag #FreeMilo, ils appellent désormais à la levée de la suspension de son compte, au nom de la « liberté d’expression ».

Lui-même s’en vantait en juin après l’attentat d’Orlando : « essayer de me réduire au silence me rend plus fort ».

Magnétique, charmeur et coqueluche du GamerGate

Ceux qui l’ont croisé reconnaissent son magnétisme. « Peut-être que ce qui est le plus choquant, avec Milo Yiannopoulos, est qu’il est tout à fait charmant », relevait la journaliste du site américain Fusion, Kristen Brown, en 2015.

« En ligne, l’éditorialiste de 31 ans du site conservateur Breitbart est le genre de troll exaspérant qui, par exemple, déclare son anniversaire “journée mondiale du patriarcat”, suggère que Donald Trump est “plus noir” que Barack Obama, ou, bien qu’il soit lui-même gay, affirme que les droits des gays “nous ont rendus plus idiots”. […] Mais dans la vraie vie – en dépit de tout ceci, ou, peut-être, à cause de tout ceci –, Yiannopoulos est, de manière désarmante, très agréable. »

Lorsqu’en juillet 2015, le journaliste se rend à Paris à un rendez-vous de sympathisants du GamerGate, un mouvement de joueurs de jeux vidéo libertariens, antiféministes et néoconservateurs, c’est effectivement un homme apprêté, prévenant et mielleux que rencontre Le Monde.

Chemise hawaïenne, veste de velours et fedora blanc, sourire assuré et répartie facile, il naviguera toute la soirée au milieu des joueurs et militants acquis à sa cause.

Premier rendez vous GamerGate dans un bar a Paris. Vox Day (de son vrai nom Theodore Beale, deuxième à gauche) et sa femme, Milo Yiannopoulos et Mike Cernovich posent pour des photos. | © Julien Muguet / Hans Lucas pour Le Monde

Antiféministe, pro-Trump et « agent du chaos »

Défenseur d’une liberté de discours sans limite, Milo Yiannopoulos s’est constitué une large base de soutiens depuis deux ans, en prenant le parti des joueurs de jeu vidéo nostalgiques d’un supposé « âge d’or » où les représentations sexistes ne posaient pas de problème. Jamais avare de bons mots assassins sur leur cible favorite, les « social justice warriors », à savoir les militants pro-LGBT et antiracistes, il est devenu l’une des coqueluches du GamerGate.

Certains ne se bercent pas d’illusions sur sa sincérité : quelques mois plus tôt, il se moquait encore du jeu vidéo. L’aisance, l’assurance et la pugnacité du journaliste de droite alternative, comme il se présente, lui ont néanmoins valu d’obtenir son totem d’immunité. Et l’inimitié ulcérée des militantes et militants féministes. Et pour cause : « Il n’y a pas de biais à l’embauche de femmes dans les nouvelles technologies : elles sont justes nulles en entretien », titre-t-il une tribune ; « la solution au harcèlement en ligne est simple : les femmes devraient se déconnecter », suggère-t-il dans une autre. Plus récemment, le Britannique a fait de l’Islam une de ses nouvelles cibles.

Aujourd’hui, le fondateur du site de nouvelles technologies de droite The Kernel, qu’il a vendu au Daily Dot Media en 2014, fait ouvertement campagne en faveur de Donald Trump, comme il s’en expliquait en mars dans The Rubin Report, un talk show « antipolitiquement correct ».

« La perspective d’une candidature de Trump, la perspective de sa présidence, ne terrifient pas seulement les libéraux mais aussi les conservateurs, car il promet de faire exploser le consensus politique. Il est l’un des plus grands cancers de la vie publique, personne n’est mieux placé que lui pour s’amuser avec ça. »

Face à l’étonnement de son interlocuteur, Milo Yiannopoulos se justifie d’un ton entendu : « Je suis un agent du chaos. »