Dans une maternité de Kampala, en Ouganda. | James Akena/REUTERS

Au cœur de la zone est d’Abobo, un quartier populaire situé au nord d’Abidjan, des constructions s’érigent de manière anarchique. Entre ces « sicobois », baraques construites à la va-vite avec des planches de bois, difficile de se frayer un passage. Développé sur des terrains non lotis, en dehors de toute autorisation administrative, le site n’est accessible que par une pente glissante.

Quand vient la saison des pluies, la zone, classée à risque, est l’une des plus dévastée. « Nous n’avons pas les moyens de nous offrir un meilleur endroit pour loger », explique Brahima Baldé, ressortissant nigérien installé dans la capitale économique ivoirienne depuis vingt-trois ans. Ce boucher de 52 ans partage sa bicoque de 64 m2, louée 15 000 francs CFA par mois (environ 23 euros) avec huit membres de sa famille.

« Chaque année nous sommes plus nombreux. Des proches viennent de la campagne pour nous rejoindre. Nous leur faisons de la place, le temps qu’ils trouvent un logement », explique Bernard N’Dri, un des voisins de Brahima Baldé.

Marche vers l’émergence

Selon la direction des services techniques de la mairie d’Abobo, près de cinq mille Ivoiriens vivent entassés dans ce quartier. Il y a trois ans, ils n’étaient que deux mille. Des quartiers précaires comme celui-ci, l’Etat ivoirien en a dénombré soixante-douze rien qu’à Abidjan. Pour éviter les drames humains liés à l’effondrement des « sicobois », le gouvernement a rasé une dizaine de ces quartiers, sans toutefois offrir aux « déguerpis » une solution de relogement.

« En Côte d’Ivoire, la démographie est difficile à contrôler. Les diverses politiques mises en œuvre n’ont pas toujours abouti aux résultats attendus en termes de changements qualitatifs dans la vie des populations », constate Koné Tehfour, député suppléant d’Abobo. « Nous connaissons une immigration de masse et le taux de fécondité augmente. Et le nombre de chômeurs aussi. » Mais le député reste optimiste : « La population est de plus en plus jeune, c’est une force. Si elle était mieux encadrée et formée, elle aiderait le pays à accélérer sa marche vers l’émergence. » Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, la Côte d’Ivoire compte 23 millions d’habitants, contre 15 millions au début des années 2000. Une explosion démographique qui a fait passer la densité au kilomètre carré de 48 à 70 habitants en moins de quinze ans. La concentration est encore plus forte à Abidjan, qui abrite à elle seule 20 % de la population ivoirienne, soit près de 4,7 millions d’habitants.

Cette surpopulation, combinée à la crise militaro-politique de 2002-2011, a fait grimper les chiffres du chômage. Avec, en première ligne, les jeunes. En 2015, selon l’Institut national de la statistique (INS), près d’un cinquième des 15-34 ans étaient au chômage. Alors, pour mieux canaliser le flux de populations, en 2012 le gouvernement ivoirien a mis en place l’Office national de la population (ONP). « L’objectif est de créer un dispositif institutionnel approprié pour que l’Etat puisse réajuster sa politique de gestion des populations en y intégrant la notion de dividende démographique », explique Marie Tanoh-Brou, directrice de l’ONP.

Une notion qui résume à elle seule tout l’enjeu de la transition démographique en cours en Côte d’Ivoire et dans toute l’Afrique subsaharienne. « Le dividende économique représente l’accroissement annuel du PIB par tête dû à la transition démographique », précise Baba Traoré, démographe statisticien à l’Institut du Sahel (Insah). En Afrique, il est encore trop tôt pour le chiffrer, car le continent n’est qu’au début de sa transition. « Depuis une quinzaine d’années, la mortalité infantile baisse, signe que la transition démographique est en marche. La suite logique, c’est la baisse du taux de natalité. Ça commence à arriver dans la plupart des pays africains », note le démographe. Selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), en 2015 une femme africaine avait en moyenne 4,9 enfants, contre 6,5 dans les années 1950. Plus qu’ailleurs, en Afrique subsaharienne la transition démographique prendra du temps, le taux de fécondité baissant plus lentement. « Dans un environnement ou la mortalité infantile reste élevée, les couples continuent à avoir beaucoup d’enfants, car ils savent que certains ne survivront pas », note le rapport.

La santé infantile pour faire baisser la natalité

La combinaison d’une mortalité infantile en baisse et d’un taux de natalité encore élevé explique l’explosion démographique en cours sur le continent. En 2010, l’Afrique représentait 17 % de la population mondiale. Elle en représentera 25 % en 2050 et 35 % en 2100. Aussi, une des premières mesures des gouvernements pour maîtriser cette explosion doit-elle concerner la santé infantile, seule à même d’encourager les femmes africaines à faire moins d’enfants. « La période de transition dans laquelle se situe l’Afrique subsaharienne est charnière, décisive, assure Baba Traore.

Comme le taux de natalité a commencé à baisser, la pyramide des âges est en train de changer. On va passer d’une population très jeune, où les moins de 15 ans sont les plus nombreux, à une période où la tranche d’âge des actifs, de 15 à 64 ans, sera majoritaire. » En 2010, 450 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne étaient en âge de travailler. Ils seront entre 843 et 885 millions d’ici à 2035. C’est donc maintenant que tout se joue.

Pour absorber tous ces nouveaux individus en quête de travail et ne pas créer une augmentation massive du chômage, les gouvernements africains doivent mettre en place des politiques adaptées, avec un accent mis sur la formation professionnelle et l’insertion des jeunes sur le marché du travail. « Avant toute chose, il faut que les autorités prennent conscience que leur pays peuvent tirer beaucoup de profit de la transition démographique, que c’est un enjeu majeur pour le développement du continent », souligne Baba Traoré. Car si une transition démographique réussie tirerait vers le haut le développement du continent, une mauvaise gestion aurait des effets catastrophiques. Avec plus de citoyens à gérer, l’éducation, la santé pourrait se dégrader. Un climat précaire qui favoriserait en parallèle l’augmentation de la criminalité. « Notre démographie, c’est une opportunité qui s’offre à nous. Si on regarde la transition passer les bras croisés, les contraintes sociales seront plus fortes. Mais nous sommes sur la bonne voie », soutient Baba Traoré.

La route de l’Afrique vers sa transition démographique sera longue, sinueuse et surtout inégale. Avec des régions comme l’Afrique du Nord et des pays tels que l’Afrique du Sud qui sont déjà sur le point d’achever leur parcours et des régions comme le Sahel sur lesquelles il faudra concentrer les efforts pour faire de la transition une chance et non un risque. Et ainsi créer une version africaine du miracle économique asiatique, ou entre 30 % et 40 % de la croissance économique de ces dernières années a été attribué au fameux dividende démographique.

Ce texte de deux contributeurs du Monde Afrique a d’abord été publié par la revue Témoignage chrétien.