Débat sur la déchéance de nationalité et la révision constitutionnelle à l'Assemblée nationale à Paris, mardi 9 février 2016 | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Une petite musique s’est installée insidieusement : le désamour des Britanniques pour le « remain », ou encore la défiance envers la loi El Khomri proviendrait d’une carence d’explications, d’un défaut de pédagogie. « Le démarrage a été raté parce qu’il n’y a pas eu de pédagogie sur la loi » a justifié la ministre du travail interrogée sur les mauvais sondages d’opinion à propos du projet de loi. « La France qui résiste à la loi El Khomri est cette France qui a peur, à qui on n’a pas bien expliqué les changements », analyse de son côté Pierre Gattaz président du Medef, ou encore « nous n’avons pas été de bons pédagogues » affirmait encore récemment un responsable britannique après l’échec du référendum. L’emploi de la notion de pédagogie par de nombreux responsables publics n’est pas neutre. Bien au contraire. Il trahit la vision qu’ils peuvent avoir de la communication avec les citoyens et du débat public en général. Qu’il s’agisse de la Loi travail ou du Brexit, l’opinion n’aurait rien compris du tout et les citoyens mériteraient une mauvaise note pour n’avoir pas bien suivi les cours qui, eux, daignent-ils à reconnaître, n’ont pas été assez intensifs. Il suffirait donc de mieux préparer les cours et le programme pédagogique envers l’opinion qui penserait enfin justement, et les citoyens voteraient correctement !

Défaut de légitimité

Laissons la pédagogie aux pédagogues, professeurs, enseignants, instituteurs, éducateurs, précepteurs, voire aux médias et aux factcheckeurs (vérificateurs de faits) même. Elle sera bien gardée. La pédagogie ne s’improvise pas et ne se décrète pas. Un contrat pédagogique lie l’enseignant et l’enseigné. L’enseignement ne peut produire ses fruits que s’il y a accord et reconnaissance réciproque entre l’enseigné et l’enseignant sur les objectifs mêmes de la formation. En clair, si l’enseigné reconnaît légitime l’enseignant. Et c’est là que le bas blesse. Il n’y a pas défaut de pédagogie, mais bien défaut de légitimité. Ce n’est pas nouveau, tant le constat du fossé entre les élites et les citoyens est criant.

Pour Emile Durkheim, « La pédagogie, l’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale ». Sûrs d’avoir raison, d’avoir tout compris, vivant dans un « splendide isolement » les apprentis pédagogues en mal d’éducation des citoyens-enfants sont illisibles et inaudibles tant ils sont suspects d’être intéressés à prodiguer leurs enseignements. En voulant enseigner « leurs vérités » à des citoyens en réalité adultes qui ne leur reconnaissent pas légitime ce rôle, ces apprentis pédagogues abandonnent sans s’en rendre compte le champ de bataille du débat public aux démagogues.

C’est en réalité une véritable désertion à laquelle nous assistons à travers cette posture. Les citoyens dans nos démocraties matures nous le disent, alors entendons-les : ils n’attendent pas de leçons de la part des acteurs du débat public, ni qu’on leur enseigne une vérité révélée, mais attendent d’être à la fois écoutés et convaincus, voire enthousiasmés. Ils méritent des acteurs du débat public engagés qui leur donne envie de s’engager à leur tour. Ils méritent des responsables publics qui se rendent audibles en intégrant leurs préoccupations et qui n’ont pas l’air de défendre tel ou tel corporatisme ou rente de situation en les prenant de haut. Ils méritent bien mieux que des « pédagogues » intéressés : des démocrates enfin intéressants !