Les imams des Alpes Maritimes ont deposé une gerbe de fleurs près de la promenade des Anglais, à Nice, le 13 juillet. | Laurent Carré pour « Le Monde »

Une semaine après l’attentat, le temps des obsèques est venu à Nice (Alpes-Maritimes). Les 84 victimes tuées le 14 juillet sur la promenade des Anglais ayant été formellement identifiées, la restitution des corps aux familles a pu commencer, après délivrance des certificats de décès et des permis d’inhumer.

La première cérémonie mortuaire musulmane a eu lieu mardi 19 juillet à la mosquée Ar-Rahma (« La Miséricorde »), la plus ancienne de Nice et la plus grande des Alpes-Maritimes. Une femme de 23 ans d’origine tunisienne, son enfant de 4 ans et un jeune homme, ont reçu les derniers hommages de la communauté, sous la conduite du recteur et imam, Otmane Aïssaoui. Puis mercredi, c’est la mosquée Al-Fourkane, dans le quartier populaire de l’Ariane, qui a accueilli quelque 200 personnes venues honorer Mehdi Hachadi, 13 ans (dont la sœur jumelle est toujours dans le coma) et Fatima Marzouk, 44 ans, sa tante, en présence des grands parents et du père de Mehdi, Brahim Hachadi.

« Un drame pour l’humanité tout entière »

« Ce n’est pas qu’un drame pour les familles, pour la communauté musulmane, c’est aussi un drame pour la communauté nationale, pour l’humanité tout entière, a souligné d’entrée de jeu Boubekeur Bekri, le recteur d’Al-Farkane. Ce drame-là n’a ni religion ni couleur de peau », a rappelé celui qui est aussi vice-président du Conseil régional du culte musulman.

Une formule que reprendra Otmane Aïssaoui dans son sermon : « La seule frontière à laquelle on doit s’arrêter c’est celle-ci : le respect de l’homme, de la femme, quelles que soient la couleur de peau, l’origine. Une vérité qu’on trouve dans l’Evangile, dans la Torah, dans le bouddhisme même ! Une vérité universelle. »

Il a également cité un verset du Coran pour interpeller l’assassin de l’enfant : « Au jugement dernier, on lui posera la question : “Pourquoi as-tu tué ce petit de 4 ans ?” » Donnant des prénoms, les âges de victimes, comme pour les faire exister une fois encore, il a invité les fidèles à se souvenir aussi de « cet homme de 54 ans qui a sauvé ses trois filles, adultes, avant de se prendre le camion sur la poitrine. »

Le risque de la stigmatisation

Conscient aussi de l’enjeu pour sa communauté, de la tournure que vont prendre les lendemains du drame : « On doit tous se remettre en question », a-t-il lancé à l’assemblée en évoquant « les politiques », « les religieux », mais aussi tout-un-chacun, « citoyens musulmans ou pas. Pour honorer le sang qui a coulé, faire en sorte qu’il n’ait pas coulé pour rien ». Ne pas tomber dans la stigmatisation de part et d’autre : « Les 84 sont morts ensemble. Ceux qui restent doivent continuer à vivre ensemble, comme un seul homme, face aux grands défis qui nous attendent, qui attendent notre pays. » Il répètera plusieurs fois « notre pays » au long de son prêche, déclamé en français.

Honoré Colomas, venu parler au nom des élus locaux, était à l’unisson : « Merci de ce que vous faites pour notre pays », a dit, invité à s’exprimer, ce conseiller général et maire de Saint-André-de-La-Roche, une commune voisine. Il était venu en compagnie de Fatima Khaldi, adjointe au maire de Nice chargée des territoires des rives du Paillon, l’un des « arrondissements » de la commune de Nice, dans lequel se trouvent des quartiers, comme l’Ariane.

Autre invité très attendu, le père Patrick Bruzzone, le curé de la paroisse Saint-Pierre d’Ariane, dont l’église se trouve à quelques rues de la mosquée. Nombre de fidèles musulmans viendront le saluer après la cérémonie. Ce prêtre de combat, fondateur de l’association caritative et sociale inter-religieuse MIR (« paix » en serbo-croate) sera sobre mais direct : « Mes frères... Je dis mes frères parce qu’aujourd’hui, plus que jamais, quand un homme est blessé, c’est l’humanité toute entière qui est blessée... »

Après une courte intervention, il s’avance vers les cercueils pour « faire ce (qu’il ferait) dans (son) église »  : se pencher sur eux comme pour les embrasser. Et l’assemblée, à l’unisson : « Allah Akbar. » Un voisin nous glisse que ce « Allah Akbar », ici, résonne « bien différemment de celui que lancent certains terroristes, non ? »

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Commémoration interreligieuse

La journée de jeudi 21 juillet prend une tournure plus officielle. Dans l’église Saint-Pierre d’Arène, sur le domaine paroissial de laquelle a eu lieu l’attentat, aura lieu la première messe d’enterrement pour une victime chrétienne, Laurence Rasteu, 46 ans. C’est également dans cette église du centre-ville que se tiendra dans la soirée, une semaine exactement après le drame, une commémoration « interreligieuse et même au-delà », explique le vicaire de la paroisse, le dominicain Yves Marie Lequin.

Le maire de Nice, Philippe Pradal, le président de la région, Christian Estrosi, et le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, doivent assister à une cérémonie mortuaire à la grande mosquée Ar-Rahma, à l’invitation d’Otmane Aïssaoui, qui est aussi président de l’Union des musulmans des Alpes-Maritimes (UMAM) et coprésident du Rassemblement des imams des Alpes-Maritimes (RIAM).

Le curé et le vicaire de Saint-Pierre appelleront à « l’apaisement nécessaire pour prendre en main notre avenir commun dans cette ville déchirée et dans tout le pays. Réfléchir ensemble pour faire en sorte que ce qui s’est progressivement effrité du lien social en grande partie ruiné soit reconstruit solidement. »

Les représentants de tous les cultes, ainsi que les politiques, ont été conviés à se joindre à ce moment de prières, de méditation « et de musique, car la musique permet d’aller au-delà des mots », insiste celui qui est aussi l’aumônier des artistes.

Hommage de l’Assemblée aux victimes de l’attentat de Nice
Durée : 04:06