Des gardes républicains du palais de l’Elysée hissent le drapeau français, le 15 juillet 2016 au palais de l’Elysée | Christophe Petit Tesson / AP

Lorsqu’on parle de réforme de la vie politique, on part souvent des institutions dont il faudrait repenser les contours, moins souvent des hommes et des femmes qui font la politique de la France, dont il faut réfléchir au moyen d’assurer le renouvellement. Le renouvellement de la classe politique sera pourtant un sujet majeur de la campagne présidentielle de 2017, porté avec mauvaise foi et sans proposition nouvelle par le Front national. C’est un enjeu central dans la lutte contre la montée des populismes en Europe, que seule l’incarnation d’une forme de rupture citoyenne avec les partis traditionnels paraît aujourd’hui susceptible d’endiguer. Modifier le recrutement du personnel politique, c’est former le projet non seulement d’introduire davantage de diversité dans les instances de décision à tous les échelons mais aussi davantage de représentativité, et donc de crédibilité. Nous proposons d’ouvrir davantage le recrutement non seulement des élus mais aussi des collaborateurs les plus influents à commencer par ceux des cabinets et les hauts fonctionnaires de l’administration, bref tous ceux qui « font la loi » avant de la faire voter par les élus.

Il ne s’agit pas de céder à la tentation du cliché, d’un « tous pourris » en version édulcorée sur le mode du « tous les mêmes ». Il y a certaines vertus à une indéniable professionnalisation du personnel politique. Que des gens choisissent une forme de cohérence dans des parcours qui les mènent d’un engagement associatif ou syndical à des fonctions politiques, que des fonctionnaires voués aux institutions publiques et formés à leurs arcanes s’engagent en politique, n’est ni à regretter ni à empêcher. Le problème démocratique se pose en revanche lorsque les profils de recrutement et les parcours de sélection s’uniformisent au point de participer au divorce des citoyens avec leur personnel politique et, ultimement, avec leurs institutions. À l’inverse, déprofessionnaliser la classe politique ne signifie pas la rendre moins experte ou compétente ; au contraire : une reconnexion avec la société civile est à bien des égards gage d’une meilleure qualité des décisions publiques.

Injection de diversité

Nous formulons des propositions qui s’appuient sur quelques axes transversaux : injection de diversité parmi élus et personnel politique, fluidification des échanges entre secteurs privé et public, accompagnement démocratique de formes d’engagement citoyen qui contribuent à façonner la politique en posant notamment les conditions d’une véritable démocratie numérique. Si nous soutenons avec force de nouvelles formes de mobilisation citoyenne, nous préconisons aussi de les penser et de les encadrer dans un sens qui en garantisse la contribution démocratique, volet souvent escamoté du débat.

Il convient tout d’abord de libérer le recrutement des élus en contournant déterministe et conformisme croissants des modes de sélection. Il faut 1) Limiter les mandats électifs publics dans le temps à deux consécutifs de même nature – et quatre consécutifs de toute nature. Il s’agit d’une condition du renouvellement et de la diversification du personnel, en limitant la professionnalisation à outrance des élus. 2) On devrait inciter financièrement les formations politiques – y compris hors partis traditionnels – contribuant au renouvellement du personnel politique. Il s’agit d’abord de moduler les subventions aux partis traditionnels en fonction du renouvellement des candidats investis d’une élection sur l’autre. Il s’agit ensuite d’ouvrir les financements aux nouveaux partis politiques et modes alternatifs d’émergence de candidatures (de type primaires citoyennes), qui ne perçoivent aucune subvention publique, sur la base d’un double seuil de 10 000 adhérents uniques et de 100 000 euros de financement privé. 3) On pourrait désigner par tirage au sort 15 % des élus des assemblées délibérantes des collectivités locales. La procédure de désignation doit être coercitive, avec compensation financière et mécanisme de formation adaptés, pour contrebalancer la désignation d’élus inexpérimentés.

Ce mécanisme s’inscrit aussi bien dans la tradition de la démocratie athénienne que dans celle des jurys d’assise, que la culture nord-américaine utilise très largement, au bénéfice d’un service citoyen qui fait consensus au sein de la population et des entreprises privées. Le recours au jury de citoyens tirés au sort pourrait également être utilisé de manière ponctuelle pour l’examen de certaines décisions structurantes engageant la collectivité, telles que des grands projets d’aménagement ou d’investissement

Fluidité entre secteurs public et privé

C’est un axe majeur d’innovation pour promouvoir davantage de représentativité du personnel politique et d’efficacité de l’action politique. Il devra avant tout s’appuyer sur des initiatives volontaristes à l’initiative du secteur privé. Bien qu’étrangement méconnus par ceux qui réclament « statut de l’élu » et autres réformes législatives, de nombreux dispositifs juridiques existent déjà, qui protègent les candidats et élus au sein de l’entreprise et leur apportent des garanties à la fin de leur mandat. Il n’est pas indispensable de les renforcer. Mais il est impératif de changer la culture qui, au sein de l’entreprise comme de l’administration, rend souvent dissuasive conciliation d’un emploi privé et d’un mandat électif.

Il faut ainsi favoriser les programmes d’accompagnement à l’engagement civique et citoyen pour les travailleurs du secteur privé sur une base volontaire. À l’exemple de Michelin et du Manifeste pour l’engagement citoyen des Entreprises et de leurs salariés, nous préconisons de proposer aux entreprises volontaires des modèles de protocoles qui prévoient non seulement des facilités matérielles allant au-delà du droit existant (exemple : décharges horaires rémunérées pour les salariés élus à un mandat extérieur à l’entreprise) mais qui, surtout, valorisent cet engagement au sein de l’entreprise. Ces programmes donneraient lieu à une charte déontologique type afin de limiter les risques de conflit d’intérêt.

Rendons également possible l’échange temporaire de personnel entre administration et entreprises privées sur le modèle anglo-saxon (« secondment ») utilisé entre entreprises privées. De tels échanges, conçus pour des postes de gestion de projets par exemple, permettront non seulement d’accroître la compréhension mutuelle des secteurs privés et publics, mais également la facilitation d’une intégration dans le privé d’anciens élus, contractuels administratifs ou fonctionnaires, qui valorise les compétences acquises, souvent très utiles dans le champ du secteur privé. Elle permettra également l’intégration de compétences nouvelles au sein du secteur public. Ces échanges seraient soumis au contrôle de droit commun exercé par la Commission de déontologie de la fonction publique.

Enfin mettons fin au fonctionnement en vase clos des cabinets et de la haute administration en réduisant fortement les bénéfices du statut des hauts fonctionnaires. Il s’agirait de développer la diversité socioprofessionnelle et statutaire des membres de cabinets ministériels ou d’élus et au sein des postes d’encadrement supérieur de l’État, qui ne seraient plus réservés aux hauts fonctionnaires - dont le statut pourrait être supprimé.

Bouger les lignes est un club de réflexion fondé par de jeunes professionnels issus à parité du secteur public et du secteur privé. Par ses travaux, Bouger les lignes veut proposer aux décideurs des clés de lecture et des pistes d’action concrètes pour moderniser notre pays et nos services publics et renforcer la justice sociale.