Le maillot jaune derrière ses coéquipiers, mercredi 20 juillet, entre Berne et Finhaut. | Kenzo Tribouillard/AFP

Chaque année, en France, se déroule une compétition sportive opposant une vingtaine d’équipes, dominée outrageusement par la plus riche d’entre elles et lui faisant ainsi perdre tout intérêt sportif. Il en est même deux. La Ligue 1 de football et le Tour de France cycliste. Un an avant que le Paris-Saint-Germain ne fasse main basse sur le championnat de France, l’équipe britannique Sky a, en 2012, remporté son premier maillot jaune à Paris, grâce à Bradley Wiggins. Christopher Froome, deuxième cette année-là car bridé par sa propre équipe, lui a succédé en 2013, 2015 et bientôt 2016, s’il ne lui arrive pas malheur dans les deux étapes alpestres le séparant des Champs-Elysées.

Jeudi 21 juillet, Froome a encore consolidé sa tunique jaune en s’imposant contre la montre à Megève. Mais si c’est sur les deux épreuves en solitaire que le Britannique né kényan aura acquis l’essentiel de son avance chronométrique, c’est grâce à la supériorité collective de son équipe qu’il l’a conservée sans forcer son talent en montagne.

La domination de Sky n’a pas enflammé les débats cette année. Son manageur Dave Brailsford y voit la preuve que la presse est désormais convaincue de la probité de ses coureurs, grâce à la publication, cet hiver, de certaines données physiologiques de Chris Froome. Plus sûrement, elle s’est lassée de poser les mêmes questions et d’obtenir les mêmes réponses. Les journalistes se laissent porter et attendent la prochaine vague. Après le « train bleu » de l’US Postal et la « garde noire » de Sky, de quelle couleur sera-t-elle ?

Domination financière

Par certains aspects, Sky et l’équipe dont il ne faut plus prononcer le nom sur les routes du Tour se ressemblent. Même stratégie de recrutement. Même ciblage des objectifs. Même revendication de méthodes d’entraînement révolutionnaires. Même supériorité financière. L’argent revient souvent au premier rang des arguments pour expliquer la supériorité de la formation de Brailsford. Evalué à 35 millions d’euros par L’Equipe, son budget serait deux fois supérieur à celui de l’équipe Movistar de Nairo Quintana (4e), et le triple de Trek-Segafredo (Bauke Mollema, 2e), Orica-BikeExchange (Adam Yates, 3e) ou AG2R (Romain Bardet, 5e).

« Nous sommes cinq coureurs ayant gagné de grandes courses et sacrifiant ici nos ambitions personnelles pour la victoire de Chris »

Capable d’attirer les leaders d’équipes adverses pour les mettre au service de son leader en juillet, Sky pioche dans un groupe de cinq grimpeurs – un de plus que les années précédentes – pouvant accompagner Froome dans les dernières ascensions. « Je ne pense pas qu’on ait été déjà été aussi forts, estime Geraint Thomas, vainqueur de Paris-Nice en mars et dévoué à son leader chaque été. Nous sommes cinq coureurs ayant gagné de grandes courses et sacrifiant ici nos ambitions personnelles pour la victoire de Chris. »

En début d’étape, Sky compte aussi sur Vasil Kiryienka, champion du monde en titre du contre-la-montre, et deux des meilleures spécialistes des courses flandriennes, Ian Stannard et Luke Rowe : « Vous ne le voyez pas mais pendant la première heure de course, ils filtrent toutes les tentatives d’échappée seuls en tête de peloton. Ils dégoûtent tout le monde, souffle l’entraîneur d’une équipe française. Leur rôle est ultra-important. Pendant ce temps, les six autres se reposent, ils n’entrent en action que dans les cols. »

Il y a du vrai dans la ritournelle qui sort chaque matin du bus noir en même temps que Froome et ses serviteurs : peu d’équipes présentent le même investissement collectif au service d’un seul leader. Aucune ne sacrifie une grande partie de la saison de ses coureurs pour qu’ils jouent les équipiers modèles en juillet. Jim Ochowicz, patron américain de la formation BMC de Richie Porte (lieutenant de Froome jusqu’en 2015), assume : « C’est une façon différente de construire une équipe. Nous ne nous limitons pas au Tour de France, nous voulons être très bons dans les classiques. Bravo à eux, ils sont la meilleure équipe du Tour, mais ils ont un style particulier et des coureurs capables de s’y conformer. Ce n’est clairement pas la façon dont nous envisageons une course. »

Les explications de Sky ? « Du vent » !

Les autres explications à la domination de Sky font davantage rire le peloton. Leur supériorité supposée dans les domaines de la nutrition, du matériel, de la récupération, de l’entraînement ? « Du vent », balaye un entraîneur français. L’argument était recevable il y a quelques années, plus maintenant. Ainsi n’a-t-il pu s’empêcher d’esquisser un sourire en entendant Sir Brailsford attribuer la victoire de Froome à Megève aux cerveaux du Team Sky plutôt qu’aux jambes du maillot jaune : « L’équipe technique, les mécaniciens, les ingénieurs, les statisticiens ne se sont pas trompés sur le rythme à adopter et sur le choix d’équipement. »

Les recettes miracles font bien rire l’ex-coureur Jorg Jaksche, qui en a connu essentiellement une durant sa carrière : l’EPO

Après la première victoire d’étape, faisant suite à une audacieuse et risquée attaque en descente, l’éminence du cyclisme britannique avait expliqué que surprendre l’adversaire faisait partie des fameux gains marginaux qu’il a toujours mis en avant pour expliquer ses succès. « La prochaine, c’est quoi ? “En montée, on appuie sur les pédales plus fort que les autres, c’est notre nouveau gain marginal” ? », avait ironisé Jörg Jaksche. Les recettes miracles font bien rire l’ex-coureur allemand, qui en a connu essentiellement une durant sa carrière : l’EPO.

Comme il est fatigant de réinventer la roue chaque semaine, Dave Brailsford refuse, depuis le début du Tour, de s’exprimer plus longuement que quelques minutes au pied du bus de son équipe. Mais sa communication semble avoir cette année un objectif unique : dissocier le maillot jaune de Chris Froome de ses performances physiques. Et feindre d’oublier qu’il a assommé le Tour de France lors de deux exercices solitaires.