Debbie Wasserman Schultz, la présidente du Democratic National Committee (DNC), le 5 juillet. | Lynne Sladky / AP

A quelques heures de l’ouverture de la convention du Parti démocrate à Philadelphie (Pennsylvanie), lundi 25 juillet, qui va officiellement désigner Hillary Clinton comme sa candidate à la présidentielle du 8 novembre, l’affaire dite des e-mails du Democratic National Committee (DNC, la plus haute instance du parti) continue de rebondir. La publication de milliers de courriels internes du DNC par le site WikiLeaks, qui montrent notamment que les élites du parti ont favorisé l’ancienne secrétaire d’Etat par rapport à son adversaire Bernie Sanders, avait déjà fait une victime majeure : Debbie Wasserman Schultz, la présidente du DNC, qui a annoncé sa démission dimanche.

Mais l’affaire a aussi pris de faux airs de guerre froide : dimanche matin, lors de l’émission « This Week » de la chaîne ABC, le responsable de la campagne de Mme Clinton, Robby Mook, a accusé WikiLeaks d’avoir publié des documents « fournis par les Russes pour aider Donald Trump ». Une thèse largement défendue par l’entourage et les partisans de Mme Clinton, qui s’appuient sur plusieurs rapports d’experts ayant travaillé sur des piratages qui ont ciblé le DNC cette année.

Selon la société spécialisée Crowdstrike, embauchée par le DNC pour mener l’enquête sur les piratages, au moins deux groupes sont parvenus à s’introduire dans les serveurs du parti. Et selon l’entreprise, les deux groupes seraient liés à d’autres piratages d’ampleur visant des ministères et des administrations américaines, et considérés comme proches du pouvoir russe.

Aucune preuve d’une implication russe

Pour compliquer encore la situation, un hacker connu sous le pseudonyme de Guccifer a revendiqué le piratage du DNC. Ce dernier affirme être roumain et n’avoir aucun lien avec la Russie. De son côté, WikiLeaks a affirmé, comme à son habitude, ne pas savoir, ni vouloir savoir, quelle était la source des documents qui lui avaient été transmis.

Aucune preuve d’une implication directe ou indirecte de la Russie dans ces piratages n’a pu être apportée – comme le plus souvent dans les cas de piratage d’ampleur, la preuve de l’origine d’une attaque étant extrêmement difficile, voire impossible à établir avec certitude. WikiLeaks rappelle par ailleurs que rien ne prouve que les courriels publiés par le site soient issus de ces deux piratages, datant du printemps, alors que le site a aussi publié des messages récents.

Le lanceur d’alerte Edward Snowden a résumé, lundi 25 juillet, le sentiment d’une grande partie des experts en sécurité informatique sur ce dossier : « Si la Russie a piraté le DNC, elle doit répondre de ses actes. Mais durant le piratage de Sony [Pictures, attribué à la Corée du Nord par les Etats-Unis], le FBI avait au moins présenté des preuves. »

« La dernière fois, nous étions le Mossad, il faudrait savoir »

Des proches de la candidate n’ont pas hésité à accuser WikiLeaks d’être, au mieux, complice d’une tentative de déstabilisation russe. Ces accusations ont été moquées par le site consacré à la publication de documents confidentiels – « la dernière fois, nous étions le Mossad, il faudrait savoir ».

WikiLeaks a aussi menacé à demi-mot une journaliste de MSNBC qui annonçait qu’elle souhaitait explorer, dans son émission, les « liens entre Trump, Poutine et WikiLeaks » : « Vous mettez en avant une théorie du complot dépassée. Nos avocats surveilleront votre émission. » De son côté, M. Trump a estimé que la polémique était « une blague ».

Si les attaques des militants démocrates envers le site ne sont pas une surprise, WikiLeaks a aussi fait l’objet de vives critiques de la part de militants qui comptent d’ordinaire parmi ses défenseurs. En cause, la publication, au côté des e-mails internes du DNC, de milliers de mails automatisés, envoyés à des donateurs du parti, qui comportent des coordonnées et adresses et pour certains des informations très personnelles, comme le numéro de sécurité sociale ou de passeport.

Le camp démocrate pointe les liens Trump-Poutine

« Il est regrettable que ces informations sensibles aient été stockées en clair par le Parti démocrate, qui devra s’en expliquer, résume le site spécialisé The Register. Mais loin de révéler la corruption de politiques – ce qui était semble-t-il le but de WikiLeaks –, cette publication générale fait courir à des citoyens ordinaires le risque de se faire voler leur identité. »

L’absence de preuve directe n’a pas empêché l’entourage de Mme Clinton de tenter de capitaliser sur la « piste russe », plutôt que de s’étendre sur le contenu des courriels dévoilés. La hiérarchie du Parti démocrate, dont John Podesta, un bras droit de la candidate, en a profité pour évoquer « l’amitié virile » (« bromance ») qui existerait, selon lui, entre le candidat républicain et le président russe, Vladimir Poutine.

Le camp démocrate a également rappelé au passage certains liens : Paul Manafort, le principal conseiller du magnat de l’immobilier, a travaillé par le passé comme consultant pour Viktor Ianoukovitch, l’ancien président ukrainien, un proche de M. Poutine.

Contraste avec la campagne de 2008

M. Trump a alimenté, le 20 juillet, les interrogations sur sa relation avec le président russe en remettant en cause, dans un entretien au New York Times, le fondement de l’OTAN, son article V qui stipule « qu’une attaque armée » contre un pays membre « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ».

M. Trump juge que les alliés des Etats-Unis ne paient pas leur juste part dans le financement de l’OTAN. Dans le cas de figure d’une attaque russe contre les pays baltes, il assure que s’il était élu président il vérifierait si ces alliés ont rempli leurs obligations financières avant d’intervenir.

Les accusations démocrates visant la Russie offrent un singulier contraste avec la tonalité de la campagne de 2008. A cette époque, le candidat démocrate, Barack Obama, plaidait pour une ouverture en direction de Moscou. Devenue secrétaire d’Etat, Mme Clinton l’avait mise en œuvre sous le nom de code de « Reset », sans avoir porté ses fruits.

Lors du débat de politique étrangère, le 26 septembre, qu’il l’avait opposé à M. Obama, le républicain John McCain avait assuré avoir regardé « dans les yeux » M. Poutine pour y lire trois lettres, « un K, un G et un B », le corps d’origine du président russe.