Christopher Froome franchit la ligne d’arrivée à Paris, dimanche 24 juillet. | Peter Dejong/AP

Pour avoir passé dix jours sur vingt au-dessus de 1 500 mètres, le Tour de France 2016 a logiquement manqué de souffle, et ce jusqu’à la conférence de presse finale de son vainqueur, Christopher Froome. Casquette trop grande posée sur le crâne, le Britannique né kényan, aussi poli qu’il est frêle, a débité ses phrases convenues pour remercier ses coéquipiers et se satisfaire d’avoir fait la course en des endroits inattendus, dans la descente du col de Peyresourde et le vent de Montpellier. Les journalistes ne se battent plus pour le micro et regrettent le temps des jurons de Bradley Wiggins et des analyses, aussi fines que mensongères, de l’homme qui s’est prêté sept fois à l’exercice et dont il ne faut plus prononcer le nom.

Combien de fois encore Christopher Froome reviendra-t-il conter un Tour de France « en montagnes russes », mais finalement gagné sans trembler ? Alors même que les observateurs s’attendaient à le voir battu par le mutique Colombien Nairo Quintana, sur un parcours taillé pour les qualités de grimpeur de celui-ci, c’est en juillet 2016 que le triple vainqueur a, en définitive, le moins forcé son talent.

A la conquête du public français

En course, ses rivaux n’avaient pas le niveau pour l’attaquer, lui et son équipe Sky. Hors course, il n’a pas donné prise aux soupçons de dopage, biologique ou mécanique, en construisant son avance par petites touches. Une économie des moyens qu’il a compensée, pendant que ses vélos passaient – parfois – au contrôle, par une débauche d’énergie consacrée à la conquête du public français. Un combat qui, autant le prévenir, apparaît aussi vain que celui contre le dopage.

Une chose est sûre : si le Tour s’est déjà lassé de la Sky, Christopher Froome ne s’est pas lassé du Tour. « Ce serait un rêve pour moi de continuer à venir ces cinq ou six prochaines années, si je le peux, annonce-t-il en faisant frissonner le directeur de la course, Christian Prudhomme. Année après année, le sentiment d’inédit ne se dissipe toujours pas. »

Encore cinq victoires, et il battrait un record officieux. Plus que deux, et il égalera l’officiel. Agé de 31 ans, Froome est déjà plus vieux que Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain lorsqu’ils ont remporté leur cinquième Tour. Mais le triple vainqueur est encore presque vert à ce niveau, lui qui est subitement passé, en septembre 2011, à 26 ans, du statut d’équipier bientôt chômeur à celui de coureur de grands tours.

Adam Yates : « Je vais peut-être devoir attendre sa retraite pour gagner le Tour »

« Je vais peut-être devoir attendre sa retraite pour gagner le Tour », s’amusait samedi, entre deux toussotements, le meilleur jeune, Adam Yates, quatrième du classement final pour sa deuxième participation. D’autres soulignent que, tant que Froome sera la tête de pont de l’équipe la plus puissante, il ne pourra rien lui arriver.

« Vu la maîtrise de son équipe, il va falloir qu’on trouve des alliés pour renverser la course plus tôt, sinon ça va être compliqué de le battre un jour », dit au Monde Romain Bardet. Le Français d’AG2R s’est glissé sur le podium final entre Froome et Quintana grâce à sa fraîcheur en troisième semaine et à l’inspiration tactique de son coéquipier Mikaël Cherel dans la côte de Domancy. La marche qui lui reste à franchir est évidemment « la plus dure », souriait-il samedi, en claquant des dents sous la pluie de Morzine.

« S’il reste dans la même équipe, avec les mêmes objectifs, Froome peut en gagner sept », renchérit Sean Yates, directeur sportif du Team Sky lors de la victoire de Bradley Wiggins en 2012, aujourd’hui au service de la formation Tinkoff. « Physiquement, il ne va pas se cramer. Il peut rester quatre ans à ce niveau et son équipe se renforce chaque année dans la gestion des situations. Elle contrôle tout ce qui est contrôlable. »

La Sky, à la différence de ses rivales, concentre toutes ses forces sur une seule course dans l’année. Son leader aussi, qui répétait samedi ne pas envisager de disputer un jour le Tour d’Italie ni les classiques ardennaises, tant le Tour de France lui semble être « tellement spécial » et ne s’offrir qu’à ceux qui s’y consacrent entièrement.

Optimisme général

Au sein de la formation britannique, un même optimisme règne. Son directeur sportif gersois, Nicolas Portal, voit « Froomey » rester « trois ans facile à ce niveau ». « Ça peut durer trois ans, estime le directeur sportif anglais de la Cannondale, Charles Wegelius. Mais ça peut aussi s’arrêter maintenant. Le facteur essentiel, c’est la vie qu’il doit mener pour arriver aussi rachitique au départ. Ce n’est pas une belle vie, ce n’est pas normal d’avoir envie de vivre comme ça. A cet égard, la naissance de son premier enfant [Kellan, en décembre 2015] peut avoir une influence. »

« Son niveau de résistance à ces compromis est assez élevé, plus que celui de Bradley Wiggins »

Pourtant, Froome « adore » cette vie de sacrifices, certifie son équipier gallois, Geraint Thomas, rejoint en cela par Nicolas Portal : « C’est lui qui sera maître, qui dira : “Maintenant, j’arrête”. Mais son niveau de résistance à ces compromis est assez élevé, plus que celui de Bradley Wiggins. » Le directeur sportif de la Sky est d’avis que tant qu’il continuera de s’infliger ces privations, « Froomey » gagnera le Tour.

Le palmarès de l’épreuve est pourtant rempli de coureurs dont l’hégémonie annoncée n’aura duré qu’un an ou deux : Laurent Fignon, Jan Ullrich… Autres triples vainqueurs du Tour après-Guerre, Louison Bobet (1953-1955) et Greg LeMond (1986, 1989, 1990) étaient encore en âge d’agrandir leur collection mais n’ont plus jamais réussi à défendre leurs chances : l’un gêné par les blessures, l’autre par une adversité ayant découvert les bienfaits de l’EPO. Enfin, l’histoire récente du cyclisme rappelle que les suprématies, sur le Tour de France, sont parfois bien fragiles, à la merci d’une dose infinitésimale de clenbutérol ou d’un enquêteur opiniâtre.