Le président chinois Xi Jinping lors de la deuxième conférence mondiale sur l’Internet, dans une petite ville près de Shanghaï, le 16 décembre 2015. | © Aly Song / Reuters / REUTERS

La Chine interdit aux plus grands sites Web du pays de faire du journalisme. Alors que la Chine subit des intempéries meurtrières qui ont vu des responsables locaux mis en cause dans les médias, le régulateur du Web a ordonné aux principaux portails chinois, dont Sina, Sohu ou Netease, et d’autres sites d’information, de démanteler leurs services d’actualité. Une mesure qui s’inscrit dans une vaste opération de contrôle de l’information en ligne depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping.

Depuis lundi 25 juillet, certaines pages couvrant les actualités sur la Chine ont été supprimées sur ces sites. Restent les liens, qui mènent à des messages d’erreur. Les sites ont aussi dû fermer les comptes publics de ces rubriques sur les réseaux sociaux. L’instance de contrôle de l’Internet les a sévèrement critiqués pour avoir « gravement violé » les règles en vigueur pour les sites Web, d’après la presse chinoise. Les sites « ont téléchargé et publié un grand nombre d’informations de presse collectées et éditées par eux-mêmes » sans autorisation officielle, ce qui a été à l’origine d’« effets particulièrement nocifs », rapporte Beijing News, qui cite une source anonyme à Administration chinoise du cyberespace (ACC), l’organe de censure du Web chinois. A la suite d’une erreur dans un article sur Xi Jinping, Tencent, le quatrième acteur majeur de l’information en ­ligne, avait déjà été mis au pas ­début juillet.

« Ils vont éviter de se faire remarquer »

Jusqu’ici, les grands portails d’information sur le Web évoluaient dans une sorte de zone grise. Officiellement, ils n’avaient pas le droit de produire leurs propres contenus, sauf pour couvrir le sport et le divertissement. Les journalistes de ces pure players ne pouvaient pas obtenir de carte de presse. Ils étaient censés se contenter d’éditer des informations provenant de sources officielles, comme l’agence de presse Chine nouvelle, ou de journaux « vérifiés ». Les titres « papiers » doivent en effet être affiliés aux bureaux de propagande des villes où ils sont basés.

Mais les plates-formes, en concurrence pour attirer les plus de 720 millions d’internautes chinois, ont développé leurs propres équipes de reporters, traitant parfois des sujets sensibles. Phoenix (Ifeng.com), un des sites d’information pointés du doigt par l’ACC, avait par exemple couvert une affaire de violence policière ayant entraîné la mort d’un jeune diplômé à Pékin, en mai. Après la publication d’une lettre ouverte de camarades d’université de la victime, deux éditeurs du site avaient été longuement interrogés par la police de la capitale ­chinoise. La lettre avait été rapidement censurée.

Lundi, la rubrique « Actualités sérieuses » de Phoenix, consacrée aux contenus originaux du site, a été supprimée. Pour autant, la dizaine de journalistes et d’éditeurs de la rubrique n’a pas arrêté de travailler. « Ils vont éviter de se faire remarquer pour l’instant, éviter les interviews », précise un ancien de l’équipe qui préfère garder l’anonymat. En avril, Netease avait publié une enquête sur Zhang Yue, un haut responsable de la province du Hebei, accusé de corruption. Un article également censuré. Chez Netease, une cinquantaine de journalistes produisent du contenu indépendant, mais seules deux rubriques spécialisées dans les enquêtes et les articles d’opinion ont été supprimées.

La crainte du « bruit »

« Les autorités ont sans doute peur de ce qu’elles appellent “le bruit”, à un an du congrès du Parti », estime un professeur de journalisme d’une grande université pékinoise, qui veut garder l’anonymat. Les autorités chinoises qualifient de « bruit » (zaoyin en chinois) les voix discordantes dans la société. Le Parti communiste chinois se réunira à l’automne 2017 pour élire ses dirigeants. Si Xi Jinping et son premier ministre, Li Keqiang, devaient être confirmés à la tête du pouvoir pour encore cinq ans, les cinq autres membres du comité permanent du bureau politique du Parti ont atteint, eux, la limite d’âge et devraient être remplacés.

Le contrôle des médias et de la société civile a été considérablement resserré depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012. « Après presque quarante ans de “réforme et ouverture” (lancée par Deng Xiaoping en 1978), c’est l’un des changements les plus sérieux dans la relation entre les médias et l’Etat », estime le professeur de journalisme.

Début juillet, les médias ont reçu l’interdiction d’utiliser des sources provenant des réseaux sociaux. L’administration chinoise du cyberespace avait publié un règlement indiquant : « Aucun site Web n’est autorisé à publier des informations sans en mentionner les sources », et précisait que les réseaux sociaux ne pouvaient être considérés comme source. C’était la première mesure prise par le nouveau dirigeant de l’administration, Xu Lin, considéré comme plus proche de Xi Jinping que son prédécesseur.