Jaroslaw Kaczynski , leader du parti PiS, Droit et justice, le 21 octobre 2015. | KACPER PEMPEL / REUTERS

Editorial du « Monde ». C’est l’une des caractéristiques des régimes ultranationalistes à tendance autoritaire : ils épurent. Une sorte de manie. Ils épurent les rangs de la haute fonction publique, de la justice et de l’enseignement supérieur, plus ou moins radicalement, selon les cas. Mais ils ne veulent pas seulement le contrôle de l’Etat en affaiblissant les contre-pouvoirs institutionnels. Ils veulent aussi la mainmise sur le passé, pour le réécrire, pour en faire une ode irénique à la nation, cette valeur suprême au nom de laquelle ils entendent gouverner.

Il n’y a pas que les ultranationalistes, d’ailleurs. Les communistes, du temps de l’URSS, à Moscou mais aussi à Varsovie, étaient passés maîtres en escamotage historique – champions du trucage des archives écrites et photographiques. Ironie du sort, en Pologne, c’est aujourd’hui, au tour des ultranationalistes de droite, au pouvoir depuis octobre 2015, de se livrer à une réécriture de l’histoire aussi révoltante qu’indigne de la part d’un pays membre de l’Union européenne.

L’inspirateur de cette régression – morale, intellectuelle et politique – s’appelle Jaroslaw Kaczynski. Il est le chef du parti PiS – Droit et justice – et, s’estimant volontiers directement en contact avec Dieu, il entend gommer toute la complexité et les heures sombres de l’histoire de la Pologne pour en faire un parangon de bonté catholique, avec tout ce que cette obsession de la pureté comporte de dangerosité potentielle pour la démocratie.

Eradiquer la marque antisémite

Celle-ci passe, toujours, par la volonté de regarder le passé en face. La France en sait quelque chose : elle a parfois mis longtemps avant de s’y résoudre. La Pologne a été un pays doublement martyr, du nazisme et du communisme. Mais M. Kaczynski veut éradiquer la marque antisémite que recèle aussi son histoire. C’est une obsession chez lui. La semaine dernière, le gouvernement PiS a nommé Jaroslaw Szarek à la tête de l’Institut de la mémoire nationale. A l’encontre de tous ses pairs, cet historien nie la responsabilité de civils polonais dans le pogrom de Jedwabne, village de l’est du pays, dans lequel ont péri au moins 340 juifs en juillet 1941, dont 300 brûlés vifs dans une grange. Il s’agit de nier toute complicité, même indirecte, des Polonais dans la « solution finale ».

Le révisionnisme historique du nouveau pouvoir ne s’arrête pas là. Il veut torpiller la réalisation, déjà en cours, d’un magnifique Musée de l’Histoire de la seconde guerre mondiale à Gdansk. Pour lui, la guerre s’achève à la campagne de 1939. Il n’y a qu’une chose à célébrer : le splendide isolement d’une Pologne héroïque abandonnée des grandes puissances. Le reste n’existe pas, notamment la libération du pays par les Russes et l’armée polonaise en exil sur le sol soviétique. Il y a plus. Dans un réflexe revanchard, le PiS s’efforce, en manipulant les archives, de ternir la réputation des grands Polonais – de Lech Walesa à Bronislaw Geremek – qui ont assuré, en 1989, la transition du régime communiste à la démocratie.

Cela se déroule sur fond de mainmise du PiS sur la télévision d’Etat et d’une volonté de paralyser les plus hautes sphères de la justice. Au nom d’une « Pologne éternelle », paysanne et rétrograde, M. Kaczynski, catholique intégriste vengeur, confit dans sa détestation du libéralisme politique et des élites urbaines proeuropéennes, prétend remodeler l’image et l’histoire de son pays. Il ne cesse de les abaisser.