Le président polonais, Andrzej Duda, en marge du sommet de l’OTAN à Varsovie, le 8 juillet 2016. | MANDEL NGAN / AFP

La Commission européenne accroît la pression sur le gouvernement conservateur polonais et le prie d’agir d’urgence pour restaurer « un principe fondamental » : l’Etat de droit. En présentant des recommandations concrètes à Varsovie, mercredi 27 juillet, Bruxelles donne trois mois au gouvernement polonais pour revoir et protéger le fonctionnement du Tribunal constitutionnel. Bruxelles avait lancé, en janvier, une procédure inédite de « sauvegarde de l’Etat de droit », à la suite de réformes contestées adoptées par le gouvernement conservateur et eurosceptique du parti Droit et justice (PiS), revenu au pouvoir après les élections d’octobre 2015.

« Nos préoccupations n’ont pas trouvé de réponses », a argumenté le premier vice-président, Frans Timmermans. Bruxelles, qui prône toujours « un dialogue constructif », a donc enclenché la seconde étape de la procédure. La Commission constate toujours des « menaces systémiques pour l’Etat de droit en Pologne », malgré la loi sur le Tribunal constitutionnel votée le 22 juillet par la majorité conservatrice. Ce texte, présenté par le parti au pouvoir comme un compromis, avait été largement décrié par l’opposition. Le président du Tribunal constitutionnel, Andrzej Rzeplinski, a ­appelé le président Andrzej Duda à y mettre son veto.

Des questions non résolues

« Même si certains doutes ont été levés grâce à ces nouvelles règles, des questions importantes sur les menaces envers l’Etat de droit en Pologne n’ont toujours pas été ­résolues », a souligné la Commission dans un communiqué. Elle recommande ainsi au gouvernement de respecter les arrêts du Tribunal des 3 et 9 décembre 2015, et de faire rentrer en fonctions trois juges élus légalement par la précédente majorité centriste. A l’heure actuelle, leur nomination est toujours bloquée, et le PiS a élu à leur place trois hommes proches de la majorité.

Bruxelles se félicite tout de même de l’abandon du principe d’une majorité des deux tiers pour l’adoption d’une décision au sein du Tribunal. M. Timmermans déplore cependant qu’« en Pologne le Tribunal constitutionnel soit toujours empêché d’assurer pleinement un contrôle efficace ». La nouvelle loi en revient à la règle de la majorité simple, qui prévalait avant la réforme du PiS, mais crée, en effet, la possibilité de repousser de six mois toute décision à la demande de quatre des quinze juges.

L’autre recommandation-clé concerne la publication de l’arrêt du Tribunal du 9 mars qui avait jugé inconstitutionnelle une précédente loi sur le fonctionnement de ce Tribunal, votée en décembre 2015, car elle paralysait de fait la plus haute instance. La Commission demande aussi la reconnaissance de tous les arrêts émis depuis par le Tribunal, ce que la majorité conservatrice refuse de faire. Elle recommande enfin « la publication de tous les arrêts futurs, indépendamment de la décision des pouvoirs exécutif ou législatif ».

« La Commission européenne n’a apparemment pas retenu les leçons du Brexit », a estimé le ministre de l’Intérieur, Mariusz Blaszczak, en reprenant une critique maintes fois entendue à l’est depuis le vote des électeurs britanniques. A force de se mêler d’affaires relevant, selon certains dirigeants, du domaine purement national, Bruxelles ne ferait que renforcer le rejet de l’Europe.

« Mesures prématurées »

Le ministère des affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a pour sa part noté, dans un communiqué, que « les mesures de la Commission européenne, publiées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le Tribunal constitutionnel, sont certainement prématurées. Elles exposent la Commission à la perte de son autorité (…) et soulèvent des questions sur le respect par elle du principe de coopération loyale avec les gouvernements des Etats membres ». Le gouvernement assure que la nouvelle loi introduit des mesures qui sont « pleinement en accord avec les standards européens de fonctionnement de la justice constitutionnelle ».

La réalité est que la loi du 22 juillet – la troisième concernant le fonctionnement du Tribunal votée par les conservateurs – ne prend pas en compte les deux recommandations principales de la Commission, basées sur un avis du Conseil de l’Europe et de sa Commission de Venise, un organe de consultation sur les questions constitutionnelles. Pour l’opposition centriste, la dernière mouture du texte devrait même accentuer la crise constitutionnelle en concrétisant la paralysie du Tribunal.

La crise constitutionnelle dans laquelle est plongée la Pologne depuis la fin 2015 a provoqué un conflit ouvert entre le gouvernement et les juristes. Une majorité de juges a en effet décidé de prendre en compte dans son travail les arrêts du Tribunal constitutionnel que le gouvernement refuse de publier.

Selon le porte-parole du Conseil national de la magistrature (KRS), Waldemar Zurek, « cela crée pour les citoyens un double système législatif, notamment dans le domaine des droits civiques, et donc une insécurité législative aux ­conséquences économiques et sociales considérables ».

Faute de réponse convaincante des autorités polonaises, la Commission pourrait décider d’appliquer l’article 7 des traités européens. Visant à protéger les valeurs fondamentales, il autorise jusqu’à la suspension des droits de vote d’un pays en cas de violation « grave et persistante » des valeurs de l’Union. Ce processus n’a jamais été utilisé jusqu’ici. Il suppose une décision à l’unanimité – moins le pays concerné. Viktor Orban, le premier ministre hongrois, a déjà promis à la Pologne que, le cas échéant, il y mettrait son veto.