L’île de Corbière, dans les Yvelines, vue du ciel. | Karolina Samborska

En quelques mois, la Seine a fait des siennes. Après avoir débordé de son lit en juin, inondé une partie de la Seine-et-Marne et baigné les quais de la capitale, la voici qui, sur un mode plus léger, expose, jusqu’au 2 octobre, ses îles sur les cimaises du Pavillon de l’Arsenal à Paris.

Entre-temps, l’opération Réinventer la Seine offre aux candidats à l’innovation le soin de repenser une quarantaine de sites implantés sur ses berges, de Choisy-le-Roi au Havre, via Rouen. Tandis que, plus récemment, les cinq derniers départements qu’elle parcourt avant de se jeter dans la mer ont décidé de faire front commun pour concevoir à travers elle, mais hors Paris, une alliance économique et politique. Une notion qui était déjà présente dans le cadre de la consultation du Grand Paris.

« Seine Métropole »

« La Seine est une amante et Paris dort dans son lit », chantait Jacqueline François à l’aube des années 1950. A croire que le fleuve n’existe que sur les quelques kilomètres que sillonnent les Bateaux-Mouches alors qu’il s’étire sur près de 800 kilomètres, du plateau de Langres (Côte-d’Or) au Havre (Seine-Maritime). Les choses pourraient bien changer, deux siècles après que Napoléon Bonaparte eut déclaré, le 7 novembre 1802 : « Paris, Rouen, Le Havre, une seule et même ville dont la Seine est la grande rue. »

Cette conviction géopolitique est aussi celle de l’architecte et urbaniste Antoine Grumbach. En février 2009, ce dernier avait dirigé l’une des équipes ayant répondu à la Consultation internationale de recherche et développement sur Le Grand Pari de l’agglomération parisienne.

Le fleuve s’étire sur près de 800 kilomètres, du plateau de Langres (Côte-d’Or) au Havre (Seine-Maritime)

Son projet, intitulé « Seine Métropole », proposait de mieux connecter la capitale à la mer, une ambition maritime indispensable pour toute ville ayant des prétentions mondiales. « J’ai eu un rêve, expliquait Antoine Grumbach. La vallée de la Seine devenait le cadre d’une grande métropole mondiale où l’urbain et la nature seraient réconciliés, Paris, Rouen, Le Havre enrichissant cette région capitale de leurs identités propres. »

Paris-Rouen-Le Havre : après Napoléon et Grumbach, ce sont aussi les maîtres mots de « Réinventer la Seine ». Les trois villes, qui sont les principales promotrices de cette consultation ne manquent pas de citer l’architecte-urbaniste. « Les collectivités et les ports de l’axe Seine lancent le défi à des architectes, entrepreneurs, artistes… d’inventer de nouvelles façons de vivre, de travailler, de se déplacer sur et au bord de l’eau, en s’appuyant sur ces différents sites », expliquent-elles. En raison des inondations, la date de remise des premières offres finales a été repoussée au 3 octobre.

« Un territoire en archipel »

Réinventer la Seine est inspiré de l’opération Réinventer Paris, menée sur le même modèle en 2015, qui avait été pour la ville une source appréciable de gains fonciers. Pour la circonstance, Anne Hidalgo (PS), aidée dans ce projet par son adjoint à l’urbanisme Jean-Louis Missika, aime à rappeler qu’elle n’est pas seulement maire de la capitale, mais aussi la première vice-présidente de la Métropole du Grand Paris (MGP).

Officiellement créée en janvier, cette strate administrative de 7 millions d’habitants veut être une solide interlocutrice de la région Ile-de-France présidée par Valérie Pécresse (Les Républicains). La MGP regroupe pour l’essentiel Paris ainsi que les départements de la petite couronne : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. L’ensemble reprend les limites de l’ancien département de la Seine, disparu à la fin des années 1960 avec l’avènement du périphérique.

Le dernier acte politique d’importance a été mené par des collectivités – toutes de droite – voulant, elles aussi, peser sur le sort à venir de la Seine. Les cinq assemblées départementales de l’Eure, des Yvelines, du Val-d’Oise, de la Seine-Maritime et des Hauts-de-Seine ont scellé, en septembre 2015, leur adhésion à l’Association des départements de l’axe Seine. Son objectif : « Fédérer les initiatives locales, en menant des projets au plus près des territoires, et constituer un espace de dialogue et de projets avec les acteurs publics et privés. »

La machine de Marly, située à Bougival. | Pierre L'Excellent

Pour s’échapper des seules considérations de concurrence politique, le pavillon de l’Arsenal à Paris propose une exposition élégamment mise en scène par l’équipe du Centre d’information, de documentation et d’exposition d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la métropole parisienne. « Iles de la Seine » nous embarque dans un voyage à la fois documenté et exotique vers Utopia ou Cythère pour qui veut bien y croire.

Ce sont 32 îles, sur les 117 entre Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) et Rouen, existantes ou disparues, qui composent, selon la commissaire Milena Charbit, « un territoire en archipel ». Equipements sportifs (île de Puteaux), prison (île Saint-Etienne), usine (île Seguin), théâtre (île Louviers), casino (île aux Dames), etc. : entre Paris et la mer, « ces îles, réunies, forment une ville », poursuit l’architecte. La « grande métropole mondiale » rêvée par Grumbach ne demandait plus qu’à naître.

Exposition « Iles de la Seine » , jusqu’au 2 octobre au Pavillon de l’Arsenal à Paris (4e). Sur le web : www.pavillon-arsenal.com

42 sites à « réinventer » le long de la Seine

La friche industrielle que constitue aujourd’hui l’usine de traitement des eaux d’Ivry (Val-de-Marne) est « le morceau de choix des sites de Réinventer la Seine », selon une architecte. Lors de la visite des lieux, fin juin, ses quelque 6 hectares de bassin et sa « nef » monumentale en béton signée par Dominique Perrault ont attiré de nombreux candidats à sa reconversion. Porté par les villes de Paris, de Rouen, du Havre, et par l’alliance portuaire de l’axe Seine Haropa, Réinventer la…