Le drame de Nice, 3e attentat de masse en 18 mois en France, l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray comme d’autres attaques similaires, interrogent tous les aspects de la vie de la nation. Il est normal que le travail des journalistes et médias soit lui aussi questionné, d’autant qu’il n’est pas toujours irréprochable. Mais depuis plusieurs jours une petite musique est en train de monter, qui vise à faire des journalistes et des médias, au mieux des boucs émissaires, au pire des complices des terroristes, et qui invite à leur imposer des règles pour la couverture de ces événements.

L’émotion des citoyens a une explication : la sidération d’une population qui s’aperçoit qu’elle n’est pas à l’abri de l’indicible. Mais exiger que les journalistes taisent le nom des assassins et cachent leur image c’est penser que ne pas nommer le danger le fait disparaître. Les rédactions peuvent en décider, pas les pouvoirs publics. Il est moins compréhensible que des élus garants des libertés fondamentales se rallient à cette demande de censure, quand ils ne la suscitent pas. À moins que de désigner les fautes réelles ou supposées des journalistes ne soit une façon de détourner l’attention des citoyens de leurs propres insuffisances.

Il n’y a pas de réponse immédiate au terrorisme. Mais imposer un black-out sur certaines informations n’en est pas une. C’est contre-productif en matière de lutte anti-terroriste, car la société a besoin de comprendre pourquoi ces actions ont eu lieu, ce qui a motivé les tueurs et quel est leur parcours. C’est illusoire au temps des réseaux sociaux, et les médias seront rapidement accusés de manipulation, de complotisme ou de soumission aux pouvoirs. C’est dangereux pour la démocratie car l’imposition de règles au nom du respect légitime des victimes amènera demain d’autres censures au nom de la raison d’Etat et de la sécurité.

Les journalistes et les rédactions doivent conserver la maîtrise et l’indépendance des contenus rédactionnels. Ce n’est pas au pouvoir politique, directement ou par l’intermédiaire d’une instance administrative, d’imposer un code de bonne conduite ou des pratiques rédactionnelles. Ce sera attentatoire à la liberté d’informer, à la liberté d’être informé, et donc aux principes mêmes de la démocratie.

Mais les journalistes doivent réfléchir au traitement des informations relatives au terrorisme, collectivement au sein de leurs rédactions, et les médias, collectivement au sein d’un organisme indépendant, regroupant des représentants des journalistes, des entreprises de médias et du public. Ce travail collectif s’efforcera de maintenir ces débats dans le champ déontologique, où prime l’intérêt du public à être informé, en dehors de toute considération politique ou idéologique.

Patrick Eveno est président de l’Observatoire de la déontologie de l’information