Avec les révélations sur le parcours d’Adel Kermiche, identifié comme l’un des meurtriers du père Jacques Hamel dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), mardi 26 juillet, se pose la question du suivi judiciaire des suspects revenant de Syrie ou de ceux qui souhaitent s’y rendre.

Connu des services antiterroristes, Adel Kermiche, un Français de 19 ans, avait tenté de rallier la Syrie par deux fois, en 2015, avant d’être arrêté. Mis en examen dès mars 2015 pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », il avait été placé en détention provisoire à l’issue de sa deuxième tentative, puis libéré en mars de cette année.

Depuis, il avait été remis en liberté mais il était assigné à résidence et était par ailleurs porteur d’un bracelet électronique. Sa libération suscite aujourd’hui de l’incompréhension, notamment de la part de certains responsables politiques de droite, qui voudraient voir derrière les barreaux tous les candidats au djihad.

Mais face à une grande diversité de profils, allant de ceux qui rentrent en France avec l’intention de commettre des actes terroristes et les désabusés de l’organisation Etat islamique (EI), qui pour certains n’ont pas dépassé la frontière turco-syrienne, les juges appliquent la règle du « cas par cas » et le passage par la case prison n’est pas automatique.

553 individus judiciarisés

Le parquet de Paris, qui centralise les affaires de terrorisme, rapporte que 553 individus de retour de Syrie ou d’Irak ou ayant eu des velléités de départ ont été « judiciarisés », c’est-à-dire qu’ils font l’objet d’un suivi formel. Parmi eux, 268 sont mis en examen, 49 sont en attente d’un jugement et 71 ont déjà été condamnés, rapporte le parquet de Paris, selon des chiffres actualisés le 25 juillet, communiqués au Monde.

Dans la majorité des cas, les individus revenant de Syrie ou d’Irak sont mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle ». « Mais le seul fait de s’être rendu sur un terrain d’opération ou d’avoir tenté de s’y rendre, ne suffit pas à constituer l’infraction ; c’est seulement l’un des éléments de cette infraction », précise Pascale Loué-Williaume, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM).

D’abord, les enquêteurs doivent démontrer que le suspect a bien eu la volonté de rejoindre une organisation liée au terrorisme. Pour cela, les juges d’instruction peuvent s’appuyer sur des conversations, notamment sur les réseaux sociaux, avec des proches ou des membres de l’EI.

Indices graves et concordants

Ensuite, ils doivent mettre au jour d’autres indices graves et concordants permettant de qualifier l’infraction, et de mettre le suspect en examen. « L’infraction d’association de malfaiteurs est caractérisée par l’addition d’un certain nombre d’éléments, de comportements, de trajets effectués, de propos tenus, d’opérations financières réalisées par les suspects », résume la secrétaire nationale de l’USM.

L’achat d’armes ou la mise en place d’un dispositif de repérage de lieux en vue de commettre une attaque, constituent notamment des éléments permettant de caractériser l’infraction. Les individus dont les projets d’attentats sont étayés par l’enquête sont alors mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », qu’ils se soient rendus en Syrie ou qu’ils y aient renoncé au dernier moment.

Dans le cas où les éléments ne sont pas suffisants pour permettre une mise en examen, la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, adoptée le 3 juin, prévoit une assignation à résidence d’un mois, sans contrôle d’un juge. Si au bout d’un mois aucun élément ne permet d’engager des poursuites, la mesure administrative prend fin. Mais les individus restent surveillés par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

169 individus en détention

Pour les mis en examen, il existe deux possibilités : le contrôle judiciaire ou le placement en détention provisoire. « Le principe de base, c’est qu’une personne poursuivie est présumée innocente, donc elle reste libre. L’incarcération constitue une mesure d’exception », rappelle Pascale Loué-Williaume. Concernant les infractions liées au terrorisme, 92 % des individus sont placés en détention, explique la magistrate :

« En matière de soupçons de terrorisme, l’exception devient la réalité, alors que dans le droit commun, le nombre de personnes placées en détention provisoire à la suite de leur mise en examen est de 20 %. »

Actuellement, sur les 268 personnes mises en examen dans des dossiers concernant des départs, ou des velléités de départs, en Irak et en Syrie, 169 sont en détention, et 99 sont placées sous contrôle judiciaire, rapporte le parquet de Paris.

Cette dernière mesure peut être plus ou moins stricte, avec par exemple une assignation à résidence, un bracelet électronique, ou encore une obligation de pointer plusieurs fois par semaine au commissariat. Actuellement, sept personnes mises en examen et en attente de jugement sont assignées à résidence sous surveillance électronique.

Evaluer le degré de radicalisation

S’agissant des motifs de placement sous contrôle judiciaire, il en existe autant que de profils. Dans les cas précis des suspects revenant de Syrie ou d’Irak, les magistrats évaluent d’abord leur « degré de radicalisation » et leur « dangerosité ».

Les candidats au djihad avaient-ils conscience d’avoir rejoint une organisation guerrière et non pas humanitaire ? Se sont-ils éloignés des thèses djihadistes ? Sont-ils toujours en contact avec des membres de l’EI ? Les magistrats attachent également de l’importance au casier judiciaire vierge, ou non, des suspects.

Les juges des libertés et de la détention évaluent enfin les chances de réinsertion des suspects. Il s’agit de savoir, « de manière générale, si la personne a un domicile, si elle évolue dans un environnement familial sain, et si elle bénéficie d’un contexte favorable à une reprise d’emploi », résume la magistrate de l’USM, en précisant qu’il est nécessaire d’avoir « des garanties suffisantes pour permettre une libération conditionnelle ».

Dans le cas d’Adel Kermiche, tous les voyants étaient au vert. Il avait assuré à la juge d’instruction qu’il regrettait ses envies de départ. La magistrate avait motivé son ordonnance de placement sous contrôle judiciaire par le fait qu’il aurait « pris conscience de ses erreurs », qu’il serait « déterminé à entamer des démarches d’insertion » et que sa famille semblait disposée à lui apporter « encadrement » et « accompagnement ».

Le parquet de Paris avait fait appel de cette libération. Contre l’avis du procureur, la chambre de l’instruction, composée de trois magistrats chevronnés, avait décidé de libérer Adel Kermiche en l’assignant à résidence chez ses parents. L’homme était seulement autorisé à sortir entre 8 h 30 et 12 h 30, période durant laquelle il a commis son attaque, à quelques centaines de mètres de son domicile.