À mes amis PNC (personnel navigant commercial) : en trente ans aux commandes des avions d’Air France, j’ai volé avec beaucoup d’entre vous. J’ai partagé avec vous les peines et les joies de ce beau métier de navigant. Je sais vos craintes et vos interrogations sur l’avenir de ce métier, sur votre avenir. Je connais les contraintes, les heures de nuit, les décalages horaires, les contrôles, les visites médicales, les passagers quelquefois difficiles. J’ai assisté, comme dans toute entreprise, à des grèves, et même participé à certaines, par solidarité. Je ne suis jamais intervenu dans les conflits et, cette fois-ci, bien que j’en comprenne également les enjeux, j’ai le profond sentiment que nous acheminons vers un suicide collectif.

Depuis 2009, notre belle compagnie s’est appauvrie de 11 milliards d’euros en soldant au fil de l’eau presque tous ses actifs : Amadeus, Servair, presque toute sa flotte vendue pour être relouée à elle-même. Les prochaines étapes étant peut-être la vente de sa « maintenance avions » une fois filialisée, puis en final, le transfert de sa filiale KLM dans le groupe Delta Airlines. La baisse du pétrole et l’effet des efforts des salariés dans le cadre du plan « Transform » ont permis à l’entreprise de retrouver en 2015 un léger bénéfice qui ne peut évidemment pas compenser, à lui seul, les dettes contractées depuis 2009.

De plus, l’horizon s’assombrit : nous allons devoir faire face aux effets des attentats en France, de la surcapacité structurelle due à la remise en service d’avions gros consommateurs de carburant et de la fin attendue du cycle haussier du transport aérien ; mais aussi, de la concurrence des low cost aux charges réduites, des compagnies du Golfe largement subventionnées et du dumping social… en n’oubliant pas une augmentation inéluctable du prix du pétrole et une évolution à la baisse des coûts de nos concurrents directs. La gestion de notre dette a amené nos dirigeants à tempérer leur communication à l’attention des marchés financiers, car personne ne souhaite financer une entreprise sans avenir. Aussi, comme d’habitude, les résultats de la compagnie Air France sont noyés au sein de ceux plus favorables de KLM et la baisse drastique de la recette unitaire de près de 6 % est mise en regard d’une amélioration du résultat d’exploitation non corrigée de l’effet pétrole.

Confrontés à ces contradictions de communication interne et externe, les salariés concluent au mensonge d’une direction passant d’un jour à l’autre à l’euphorie d’un « rétablissement des fondamentaux » (en mai, Alexandre de Juniac, – ancien PDG d’Air France-KLM) et d’un « dépassement des objectifs financiers » (en mai, Frédéric Gagey, PDG d’Air France) ; puis, à une pression sur les coûts sociaux aboutissant aux grèves de pilotes (en juin), puis des stewards et hôtesses (en juillet).

Jamais depuis 1993, Air France n’a connu un tel défaut de confiance entre la direction et ses salariés, mais aussi entre les corporations qui la composent. Les audits sociaux commandés par le comité exécutif montrent un taux de confiance de 17 % à ses dirigeants ; mais aussi un ressentiment marqué des personnels au sol à l’encontre des pilotes montrés du doigt pour leur refus apparent de solidarité, et des stewards et hôtesses convaincus d’être les seuls à payer. Cette grève – longue –, en pleine saison touristique, a des conséquences bien plus importantes que les pertes financières liées à la baisse de recettes. L’avenir de notre compagnie est en fait fragilisé par la perte de confiance de nos clients : comment imaginer que les dizaines de milliers de passagers dont nous avons gâché les vacances, reviendront d’eux-mêmes dans nos avions

Le retour à la confiance est maintenant le maître mot de notre avenir : la confiance de nos clients à reconquérir, une sorte de contrat de confiance. La confiance des partenaires, en premier lieu KLM qui veut à tout prix éviter de sombrer avec le navire Air France. Or, sans KLM, la compagnie Air France n’aura définitivement plus la taille pour résister seule à la concurrence internationale. La confiance des investisseurs pour financer notre développement et, surtout, la confiance des salariés dans leur avenir

La solution ? L’arrivée d’un nouveau président [Jean-Marc Janaillac, le 4 juillet] est l’opportunité de la remise à plat du dialogue. Une trêve a été signée avec les pilotes, le temps de construire un projet qui suscite l’adhésion. Pourquoi ne serait-ce pas possible avec les stewards et hôtesses ? Le retour à la confiance passe par un constat partagé de la situation réelle de l’entreprise. Cette photographie sociale et économique de notre compagnie, des enjeux internationaux, des opportunités et des fragilités doit être confiée à une personnalité ou à un organisme indépendant. La stratégie découlera d’elle-même à la condition que le calendrier politique ne prenne pas le pas une fois encore sur les besoins de l’entreprise.

Les Français tiennent beaucoup à leur pavillon national, mais il risque soit de disparaître dans l’indifférence comme les PAN AM, TWA, Sabena ou Swissair, ou de devenir l’ombre de son passé comme Alitalia ou Iberia. Nous pouvons encore sauver Air France, mais la marge est étroite et le temps est compté. La balle est dans le camp de tous les salariés d’Air France : Notre beau navire risque de couler corps et âme si nous faisons le choix de la division, des corporatismes et de la confrontation suicidaires. Je connais pour l’avoir partagé la passion qui anime les salariés d’Air France, notamment des navigants. Ils doivent la mettre aujourd’hui au service de leur avenir et de leur compagnie.

Gérard Feldzer est président honoraire de l’Aéro-Club de France et membre de l’Académie de l’air et de l’espace