Une ou deux fois par semaine, lorsque le soleil se couche sur la ville de Koidu dans l’est de la Sierra Leone, des habitants de la ville emballent des affaires et montent sur les hauteurs. Une explosion est sur le point d’avoir lieu dans la mine de diamant.

Certaines familles doivent abandonner des marmites sur le feu, car la police et les forces de sécurité les somment de partir avant que les mineurs ne déclenchent les charges destinées à faire sauter la poussière et la roche qui cachent les diamants. Ces explosions rappellent à certains des 100 000 habitants de la ville les obus de mortier qui s’abattaient sur Koidu lors des attaques menées par des rebelles pendant la guerre civile qui a mis ce pays d’Afrique de l’Ouest à feu et à sang dans les années 1990.

Un continent de secrets : une nouvelle série sur les « Panama papers » en Afrique

Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde est partenaire, publie dès lundi 25 juillet une nouvelle série d’articles à partir des documents « Panama papers » sur l’évaporation des ressources en Afrique.

La présentation (en anglais) de cette série est à trouver ici.

Les 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca mettent en lumière le rôle des sociétés offshore dans le pillage du continent, qu’il s’agisse de l’industrie du diamant en Sierra Leone, des structures de dissimulations du milliardaire nigérian Kolawole Aluko, propriétaire d’un yacht sur lequel Beyonce a passé des vacances et lié à l’ancienne ministre du pétrole nigériane Diezani Alison-Madueke, ou le recours systématique aux paradis fiscaux par l’industrie extractive.

Selon l’ICIJ, des sociétés issues de 52 des 54 pays africains ont recouru à des structures offshore, participant à l’évaporation de 50 milliards de dollars d’Afrique chaque année. ICIJ, pour cette nouvelle série, s’est appuyé sur ses partenaires habituels ainsi que sur des journalistes en Algérie, au Ghana, en Tanzanie, au Niger, au Mozambique, à Maurice, au Burkina Faso et au Togo, coordonnés par le réseau indépendant ANCIR.

La terre tremble, les bâtiments se fissurent, mais la vie des habitants de Koidu continue tant bien que mal depuis qu’ils ont vu un conglomérat minier commencer à creuser il y a 13 ans.

« Quand les explosions ont lieu pendant la saison sèche, de la poussière et des pierres volent dans les airs, » raconte Bondu Lebbie, une mère de deux enfants âgée de vingt et un ans qui vit au pied des déchets de la mine. La poussière nous fait tousser et nous donne des maux de tête. »

Du Panadol pour calmer la douleur.

L’histoire de Lebbie est monnaie courante dans de nombreuses régions d’Afrique où des activités d’exploitation minière et de forage sont menées pour extraire du pétrole, du gaz et des minéraux. Les familles qui habitent près des réserves souterraines de richesses naturelles luttent à la fois contre la pauvreté et les risques environnementaux.

Pendant ce temps, les entreprises qui extraient des diamants, du pétrole et d’autres ressources brassent des milliards de dollars aux quatre coins de la planète via des sociétés écrans immatriculées au Panama, dans les îles Vierges britanniques ou dans d’autres paradis fiscaux.

« Que ce soit la poussière, la contamination de l’eau, la perte des terres ou la violence, presque tous les inconvénients des activités minières en Afrique sont supportés par les communautés locales », déclare Tricia Feeney, la directrice exécutive de l’organisation non gouvernementale britannique RAID (Rights and Accountability in Development). « Et tous les bénéfices reviennent à une poignée de magouilleurs, aussi bien des particuliers que des entreprises. »

La mine de diamant de Koidu est exploitée par Koidu Limited, une société fondée aux îles Vierges britanniques en 2003 pour 750 dollars par le cabinet d’avocat Mossack Fonseca, récemment touché par la perte de millions de fichiers connus sous le nom de Panama Papers.

D’après ces documents, la société Koidu Limited appartient à une autre société, Octea Mining Limited, qui appartient elle-même à un ensemble de sociétés offshore basées dans les îles Vierges britanniques, à Guernesey et au Liechtenstein et contrôlées par le milliardaire israélien Benjamin Steinmetz, un magnat du pétrole, et sa famille.

Parmi les diamants extraits autour de la ville de Koidu, beaucoup finissent sur des bagues de fiançailles ou des pendentifs vendus chez Tiffany & Co., le prestigieux bijoutier américain qui a prêté des dizaines de millions de dollars à la société Koidu Limited pour pouvoir avoir accès aux diamants.

Koidu Limited est devenue la compagnie minière la plus en vue, mais également la plus controversée d’Afrique de l’Ouest.

En 2007 et en 2012, des habitants et travailleurs locaux ont protesté contre les conditions de travail et les impacts environnementaux. Lors des deux confrontations, la police a ouvert le feu, tuant 2 personnes en 2007 et 2 autres en 2012, dont un garçon de 12 ans.

#PanamaPapers Le lexique de l'offshore

En 2015, les autorités de Sierra Leone ont menacé la société Koidu Limited de lui retirer sa licence, l’accusant de ne pas honorer les remboursements de prêt dus au gouvernement et aux banques, d’après le Wall Street Journal. La même année, les avocats de la ville de Koidu plaidaient devant la cour que la société avait esquivé des centaines de milliers de dollars en impôts locaux. La société Koidu Limited s’est contenté de répondre qu’elle avait dépensé des millions pour le développement de la communauté, notamment pour la construction d’un village pour reloger les habitants, pour l’approvisionnement en eau, pour des bus et pour une clinique.

Le maire de Koidu, Saa Emmerson Lamina, s’en est remis à la justice. Les routes sont mauvaises et le taux de chômage est élevé, se plaint-il, et l’appareil de radiographie le plus proche est à plus de 300 kilomètres.

« Avec cet argent, nous pourrions grandement améliorer les conditions de vie de nos concitoyens, aussi bien dans le domaine de l’agriculture que celui de l’éducation ou même de l’aide sociale. » Il craint que les confrontations ne se multiplient si la compagnie minière ne change pas ses pratiques. « J’ai peur pour la stabilité de la ville de Koidu », déclare-t-il.

En 2016, des mois après le dépôt de la poursuite, le gouvernement central a suspendu monsieur Lamina de ses fonctions, suite à des allégations faisant état d’une mauvaise gestion du budget de la ville de Koidu. Un audit a révélé quelques infractions administratives, dont le cas d’un employé ayant emmené des chéquiers de la ville en vacances, ainsi qu’environ 8 500 dollars d’impayés auprès de fournisseurs et autres tierces parties. Aucune autre charge spécifique n’a été retenue contre monsieur Lamina.

Ce dernier pense que cette suspension vise à le faire taire. Des informations relayées par les médias suggèrent que l’ordre proviendrait directement du bureau du président Ernest Bai Koroma. « Le procès n’a pas plu à ma hiérarchie politique », a déclaré monsieur Lamina au Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ).

Un porte-parole du président a affirmé à l’ICIJ que la suspension faisait suite à un « conflit au niveau local » et que le président n’avait rien à voir avec cette décision.

Montages offshore

Les diamants de Koidu ont fait leur première apparition dans les « Panama Papers » en 2002, peu de temps après la fin de la guerre civile en Sierra Leone. Les documents de l’époque indiquaient que la fondation privée de la famille Steinmetz s’était engagée à payer 1,2 million de dollars pour l’achat de la licence d’exploitation minière émise par le gouvernement de Sierra Leone pour la mine de Koidu.

La société Koidu Limited est ensuite devenue l’un des clients de l’industrie minière les plus importants du cabinet Mossack Fonseca, avec des centaines d’e-mails et de pièces jointes envoyés sur plus de 10 ans à propos de tâches administratives plus ou moins urgentes, de comptes dans cinq banques différentes de la Sierra Leone et à Londres et d’une ribambelle de prêts pour un total de 170 millions de dollars.

La société minière de Sierra Leone est l’une des 131 sociétés créées par le cabinet Mossack Fonseca et liées à la famille Steinmetz, ainsi qu’à une autre société située à la tête de leur empire, BSG Resources, d’après les dossiers du cabinet.

Ces entreprises incluent notamment d’autres sociétés d’exploitation de mines de diamant, ainsi que des courtiers et diamantaires basés en Namibie, au Botswana, en Angola, au Liberia et au Congo. L’une d’entre elles, Diacor International Limited, déclarait produire différents types de diamants, dont certains « de couleur ». D’après certains documents, Diacor a enregistré un volume de ventes de plus d’un milliard de dollars chaque année entre 2011 et 2013.

Les affaires des Steinmetz en Guinée, pays voisin de la Sierra Leone situé plus au nord, ont elles aussi largement occupé le cabinet Mossack Fonseca.

En août 2014, les autorités des îles Vierges britanniques ont ordonné au cabinet Mossack Fonseca de leur fournir des centaines de pages incluant notamment des correspondances, des documents retraçant des paiements et autres transactions financières et des comptes-rendus de réunion concernant trois sociétés faisant l’objet d’une enquête criminelle impliquant BSG Resources.

Cette enquête fait suite à des allégations selon lesquelles des personnes liées à la société BSG Resources faisaient elles-mêmes l’objet d’enquêtes dans différents pays concernant le paiement de pots-de-vin destinés à permettre à la société de conserver ses droits miniers en Guinée. D’autres documents partagés plus tard par les avocats de BSG Resources avec le cabinet Mossack Fonseca confirmaient que la société faisait l’objet d’une enquête au Royaume-Uni, en Suisse et aux États-Unis. Ces documents mettent également en cause le gouvernement guinéen au motif qu’il aurait dépouillé BSG Resources de ses droits miniers de façon illégale.

Le paysage vu de Koidu à l’est de la Sierra Leone. | REUTERS

La société BSG Resources a refusé de répondre aux questions que nous lui avons posées lors de la préparation de cet article. Elle a déclaré qu’elle « avait recours à des sociétés offshore et à d’autres structures semblables dans le cadre de sa planification fiscale légitime et responsable » et elle ne divulgue des informations que lorsqu’elle y est forcée. La société BSG Resources a déclaré à l’ICIJ qu’elle « ne connaissait pas » la plupart des 131 sociétés créées par Mossack Fonseca qui semblaient connectées à la famille Steinmetz et à BSG Resources d’après les Panama Papers.

Mort et impôts

L’un des deux manifestants ayant perdu la vie pendant les protestations de 2007 contre Koidu Limited était Aiah Momoh, un père de famille de 30 ans. Une plaque commémorative indique qu’Aiah est décédé « pendant une manifestation pacifique... contre la société Koidu Holdings S.A Limited pour son non-respect des droits de la communauté. »

Alors que le gouvernement avait contraint la société à cesser ses activités, une commission d’enquête a blanchi cette dernière et déclaré que les agents de sécurité qui avaient abattu les protestataires n’étaient pas sous son autorité.

« Aiah prenait soin de nous », déclare sa mère Sia Momoh, assise sur le sol de la maison en terre crue familiale et filant du coton. « Je ne peux plus passer sur le carrefour près duquel se trouve sa tombe, dit Yei Momoh, la sœur d’Aiah. Cela me rappelle trop la tragédie que nous vivons. Aiah était tout pour notre famille. »

En 2015, la communauté locale a porté ses doléances devant les tribunaux. Après des années de demandes de paiement ignorées, le conseil municipal de la ville de Koidu a attaqué la maison mère de Koidu Limited, Octea Limited, affirmant que la société comptabilisait des impayés à hauteur de 684 000 dollars.

Dans une déclaration écrite sous serment, monsieur Lamina déclare que le non-paiement de ces impôts « a privé sa communauté de ressources indispensables à son développement... Ces richesses lui appartiennent et elle ne devrait pas en perdre les bénéfices ni être obligée de mendier. »

La société Koidu Limited a maintenu qu’elle était exonérée d’impôts, mais qu’elle honorait ses responsabilités sociales.

En avril, quatre jours après la révélation de l’existence des Panama Papers, le juge Justice Bintu Alhadi de la Haute Cour de la Sierra Leone a statué que les sociétés Octea et Koidu Limited étaient des entités séparées et qu’Octea n’était pas techniquement propriétaire de la mine. Par conséquent, d’après le juge, Octea n’est pas tenue de payer des impôts locaux.

« Le secret des affaires pratiqué dans les paradis fiscaux et la complexité avec laquelle les sociétés s’organisent empêchent les pays en développement de bénéficier d’un traitement équitable lors du partage des revenus issus de leurs ressources naturelles », déclare Tatu Ilunga, ancien avocat fiscaliste et conseiller politique en matière de fiscalité pour Oxfam America.

Monsieur Lamina, qui déclare être persuadé que le gouvernement central n’a pas le pouvoir de le suspendre de ses fonctions de maire, continue à les exercer comme si de rien n’était. Il pense qu’il sera bientôt réhabilité et déclare que la ville prévoit de faire appel de la décision du juge concernant l’affaire des impôts locaux.

« Je me considère comme un cavalier solitaire », a déclaré monsieur Lamina à l’ICIJ. « Mais j’ai la chance de bénéficier du soutien des habitants de Koidu dans mon combat pour la cause de la communauté. »


Cette enquête a été réalisée par Silas Gbandia, Cooper Inveen, Khadija Sharife, Will Fitzgibbon et Michael Hudson de l’African Network of Center for Investigative Reporting (ANCIR), et du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ). Le texte original a été adapté de l’anglais par Le Monde Afrique.