La Commission européenne, à Bruxelles, en 2015. | JOHN THYS / AFP

La Commission européenne doit-elle revoir sa copie ? Mi-juin, avec deux ans et demi de retard sur le calendrier réglementaire, l’exécutif européen proposait des critères définissant les perturbateurs endocriniens – ces polluants de l’environnement (pesticides, plastifiants, solvants, etc.) capables d’interférer avec le système hormonal et nocifs à faibles niveaux d’exposition. Dans un commentaire critique publié mercredi 27 juillet, l’Endocrine Society estime que les propositions de Bruxelles en la matière ne sont pas à même de protéger la santé publique.

Les termes utilisés par la société savante d’origine américaine, qui représente 18 000 chercheurs et cliniciens internationaux spécialistes du système hormonal, sont sans ambiguïté. Les critères proposés par Bruxelles ne respectent pas l’état de la science et exigent « un niveau de certitude scientifiquement presque inatteignable » pour classer une substance dans la catégorie des perturbateurs endocriniens. Ceux-ci sont présents à des degrés divers dans la chaîne alimentaire de même que dans une grande variété de produits domestiques d’usage courant (contenants alimentaires, cosmétiques, retardateurs de flamme…).

« En dépit de l’état de la science, les critères proposés par la Commission européenne conduiraient à attendre jusqu’à être certain qu’un produit chimique est responsable d’effets délétères pour la santé humaine avant d’agir, détaille la société savante dans sa lettre. Du fait qu’il faut attendre plusieurs années ou générations avant que les dégâts d’un perturbateur endocrinien ne deviennent apparents, cette approche pemettrait à des substances de synthèse de produire des dégâts substantiels sur les populations avant qu’elles soient régulées. »

« Un coût humain incalculable »

L’Endocrine Society souligne que plus de 1 300 études publiées dans la littérature scientifique font état de « liens entre l’exposition aux perturbateurs endocriniens et des maladies ou des troubles sérieux comme l’infertilité, le diabète, l’obésité, des cancers hormono-dépendants et des désordres neurologiques ». Les scientifiques rappellent que des études récentes suggèrent que les dégâts sanitaires dus à l’exposition de la population européenne à ces substances non encore régulées sont « de l’ordre de 163 milliards d’euros par an, en frais de santé et en perte de productivité économique ». « Le coût humain, lui, est incalculable », ajoute la société savante.

Avant d’être adoptés, les critères mis sur la table par Bruxelles devront être discutés par les Etats membres et passeront devant le Parlement européen. « La Commission prend note du commentaire de l’Endocrine Society et l’évaluera, de même que les commentaires reçus par les autres parties prenantes et les pays tiers, dans le contexte de l’Organisation mondiale du commerce », dit-on à Bruxelles.

Plusieurs Etats membres ont manifesté leur désaccord. En déplacement à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Ségolène Royal a déclaré, jeudi 28 juillet, que la proposition de réglementation de Bruxelles était « extrêmement décevante ». La ministre française de l’environnement a ajouté avoir écrit, « avec [s] es homologues danois et suédois », à Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, « pour défendre une position ambitieuse permettant notamment d’interdire l’utilisation de perturbateurs endocriniens dans les pesticides ».

Poursuivie en carence par plusieurs Etats membres, le Conseil et le Parlement européens, la Commission a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, en décembre 2015, pour avoir tardé à publier les fameux critères réglementaires.