Des Madrilènes patientent devant un pôle emploi espagnol, en avril. | © Andrea Comas / Reuters / REUTERS

Du jamais-vu depuis six ans. Au deuxième trimestre, le taux de chômage espagnol est redescendu à 20 % des actifs. Selon l’enquête de population active (EPA) de l’Institut national de statistiques espagnol, entre avril et juin, le royaume a recensé 216 700 chômeurs de moins et 271 400 nouveaux emplois.

Pour le ministre de l’économie, Luis de Guindos, qui s’est félicité de ces chiffres, l’affaire est entendue : il ne fait guère de doutes que l’Espagne terminera l’année sous cette barre symbolique des 20 %. Mais, derrière la satisfaction officielle, on sent pointer une certaine déception. Les chiffres de l’EPA ne sont pas à la hauteur des prévisions que le ministre et de nombreux analystes avaient avancé ces derniers jours, à savoir la création de près de 400 000 emplois.

Même positives, les statistiques démontrent un ralentissement sensible de la création d’emplois : au deuxième trimestre 2014, 402 000 emplois avaient été créés, et, au deuxième trimestre 2015, près de 412 000.

Le tourisme, « véritable moteur »

Un affaiblissement qui permet à la confédération syndicale UGT de souligner que la reprise de l’emploi est « peu solide » et soumise aux « dangers que renferme un modèle de croissance construit sur les mêmes piliers que ceux de l’étape expansive antérieure, c’est-à-dire des activités à faible valeur ajoutée et technologique et un emploi temporaire peu qualifié et de mauvaise qualité ». Sans surprise, c’est le secteur des services qui explique les bons chiffres de l’emploi. Plus de 227 000 des nouveaux emplois (84 %) sont rattachés à cette branche, qui profite du boom du tourisme. Or, qui dit touriste dit aussi emploi saisonnier : plus de 60 % des nouveaux emplois sont à durée déterminée. La construction et, dans une moindre mesure, l’industrie complètent la liste des principaux secteurs de création d’emplois.

Après avoir accueilli plus de 68 millions de touristes étrangers en 2015, le secteur touristique, dopé par l’instabilité en Turquie, en Egypte ou en Tunisie, s’attend à battre un nouveau record cette année. Mais l’association des professionnels du tourisme Exceltur se veut, elle aussi, prudente.

« Il faut mener sans attendre une profonde réflexion sur la gestion du succès et la viabilité des modèles touristiques basés seulement sur une plus grande affluence, aujourd’hui favorisés par des causes exogènes qui peuvent s’inverser », avançait-elle dans une étude publiée le 13 juillet.

Si elle prévoit une augmentation de 4,4 % des revenus du tourisme en 2016, elle estime que la moitié de la hausse des touristes étrangers est due à l’instabilité dans d’autres pays.

Si la fédération patronale du secteur indique que l’activité touristique, « véritable moteur de la croissance espagnole », a généré plus de 88 000 créations d’emploi au deuxième trimestre, grâce à une augmentation du nombre de visiteurs de 13 %, Exceltur s’inquiète aussi de la baisse des dépenses par touristes (– 7,4 %) et de la saturation de certaines destinations, comme Barcelone, qui commence à se rebeller contre le tourisme de masse.

Une réforme contre la « peur d’embaucher »

Les craintes sur la solidité de la reprise espagnole sont aussi partagées par les économistes. Le fait que l’Espagne ait connu durant ces trois dernières décennies trois périodes prolongées durant lesquelles le chômage s’est maintenu au-dessus de 20 % des actifs conduit les analystes à se pencher sur les faiblesses structurelles du marché de l’emploi. Des faiblesses qui devaient justement être attaquées par la réforme de l’emploi.

Approuvée en 2012 par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy pour lutter contre la « peur d’embaucher », en facilitant les licenciements, il est encore difficile de mesurer la portée réelle de cette réforme. Une seule certitude : ce texte n’est pas parvenu à freiner le recours massif à l’emploi à durée déterminée.

D’une refonte du modèle productif espagnol, grâce au développement de la recherche et de l’innovation, à l’amélioration de la formation et du travail des agences pour l’emploi, en passant par la lutte contre le travail au noir ou l’implantation d’un « contrat unique » aux indemnités proportionnelles à l’ancienneté : tous les partis politiques continuent de chercher des clés pour que les destructions d’emplois record connues durant la crise (plus de 3 millions d’emplois perdus) ne se reproduisent pas en cas de nouveaux soubresauts économiques et que la qualité de l’emploi s’améliore.

Toutefois, si l’Espagne a profité du vent qui souffle dans le bon sens pour réduire son taux de chômage, celui-ci – 20 % des actifs, soit 4,5 millions de chômeurs – demeure le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce.