La centrale nucléaire d’Hinkley Poin,  dans le comté du Somerset, en Angleterre, jeudi 28 juillet. | Andrew Matthews / AP

Editorial du « Monde ». Un pari à 22 milliards d’euros. EDF a choisi de se lancer dans la construction de deux réacteurs nucléaires EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni. Un projet titanesque, comme les Français les adorent. C’est pour cela qu’il faut se méfier : du canal de Panama, à la fin du XIXsiècle, en passant par le Concorde dans les années 1960, pour finir avec le Crédit lyonnais ou Eurotunnel dans les années 1990, les précédents sont nombreux d’épopées industrielles ruineuses.

Dans le cas d’Hinkley Point, il ne s’agit pas de remettre en cause l’orientation nucléaire française. Il ne s’agit pas non plus de s’interroger sur le risque d’accident après la catastrophe de Fukushima, sur le coût de démantèlement des centrales, qui s’annonce exorbitant, ou encore sur la compétitivité du nucléaire, qui n’a rien d’évident avec les gains de productivité des énergies renouvelables.

Empressement français

Non, il convient de vérifier si, comme l’a dit au Figaro le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, « Hinkley Point est un choix d’entrepreneur ». Un entrepreneur est un homme qui prend des risques, mais calculés. On comprend l’empressement français : après la faillite d’Areva, il faut remettre la filière nucléaire française dans la course mondiale alors que la France a perdu en trente ans son savoir-faire pour couler le béton et construire les cuves des centrales. Il s’agit de « ferrer » un contrat favorable, négocié avant la chute des cours de l’énergie, et qui garantit pour trente-cinq ans un prix de vente de l’électricité bien supérieur aux cours actuels.

Mais les incertitudes sont colossales. D’abord sur le financement du projet par une entreprise très affaiblie : EDF, qui devra verser 14,5 milliards d’euros elle-même, est surendettée ; elle doit financer la mise aux normes de son parc nucléaire à hauteur de 50 milliards d’euros pour prolonger de dix ans la durée d’exploitation des réacteurs ; la transition énergétique et l’ouverture à la concurrence la fragilisent grandement, surtout lorsque les pouvoirs publics empêchent des hausses de tarifs nécessaires.

Nul ne sait si les EPR fonctionnent

La deuxième incertitude est technologique. Aucun EPR n’est en fonctionnement. Les chantiers de Finlande et de Flamanville, dans la Manche, s’éternisent. Les premiers réacteurs lancés seront les deux EPR construits en Chine, à Taishan. Aucun d’entre eux n’a fait d’objet d’essais à chaud, avec du combustible nucléaire. En clair, nul ne sait si les EPR fonctionnent. Sur le papier, le projet s’annonce très rentable – 9 % par an après impôts – mais les pénalités seront considérables si les délais ne sont pas tenus.

Le troisième doute à lever est géopolitique. Les Européens donnent aux Chinois un accès sur leur sol à une énergie dangereuse et stratégique. S’y ajoutent les incertitudes sur le Brexit et les futures relations franco-britanniques, qui compliquent le lancement d’un tel programme.

Dernière bizarrerie, le conseil d’administration d’EDF, qui a voté jeudi 28 juillet le projet d’une courte majorité, n’a pas été prévenu des hésitations de Theresa May, nouvelle première ministre britannique, qui ne rendra sa décision définitive que dans plusieurs mois.

EDF devrait aussi se donner du temps, proposer aux Anglais son EPR « nouveau modèle » destiné à la France lorsqu’il sera au point. Car, sous prétexte de sauver sa filière nucléaire, la France donne le sentiment de s’être lancée dans une fuite en avant. Elle ne peut jouer l’avenir d’EDF à pile ou face. Aucun entrepreneur ne ferait cela.

Nucléaire : pourquoi le projet de centrale d’Hinkley Point est-il controversé ?
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