C’est un beau cadeau d’adieu que s’est octroyé pour sa dernière saison à Salzbourg le metteur en scène Sven-Eric Bechtolf, avant de céder sa place d’intendant général au pianiste autrichien Markus Hinterhäuser, directeur des Wiener Festwochen jusqu’en 2016. L’Allemand a en effet programmé sa « trilogie Mozart-Da Ponte », commencée en 2013 à rebours de la chronologie mozartienne avec Cosi fan tutte, avant Don Giovanni (2014) et Les Noces de Figaro (2015). Mais un Cosi peut en cacher un autre : la Haus für Mozart n’étant cette fois pas disponible, Bechtolf le prolifique a concocté une ­seconde mouture pour le Manège des rochers (Felsenreitschule) – la troisième, si l’on compte son premier Cosi de 2009, à Zurich.

Ce vendredi 29 juillet, Bechtolf a placé sous haute surveillance deux femmes cobayes dont les amoureux vont tromper la vigilance et le cœur en se faisant aimer pour autres qu’ils ne sont. Tout cela sous le magister de Don Alfonso et de sa complice, Despina. C’est ainsi qu’après avoir été chloroformées, Dorabella et Fiordiligi sont mises en observation par une gent médicale de commedia dell’arte, souris blanches quittées par leurs amants avant d’être soumises aux feux échangistes de deux Turcs tentateurs.

L’opéra ne s’embarrasse ni de soubassements tragiques ni d’ambivalence psychologique

Quelques toiles peintes déroulant un paysage napolitain puis un clair de lune, de longues tables en bois de cabinet de travail, des rangées de bougies disséminées dans les alcôves rocheuses offrent un dépouillement bienvenu à la surenchère comique d’une direction d’acteur qui semble vouloir faire barrage à l’émotion. L’opéra a beau être en costumes d’époque, il ne fait pas dans la dentelle, ne s’embarrassant ni de soubassements tragiques ni d’ambivalence psychologique. En témoigne la parfaite symétrie des deux sœurs (même coiffure, même blondeur, mêmes robes), parfaitement interchangeables, qui annihile le propos subversif et fait chuter l’intrigue : si chacun vaut chacune, où est la trahison ?

Sensualité, charme, piquant

Les deux précédentes mises en scène avaient leur victime expiatoire : en 2009, Fiordiligi tombait morte après avoir bu la coupe de mariage empoisonnée que lui tendait Guglielmo ; en 2013, c’était Don Alfonso. Cette fois, Bechtolf a pris le parti de la clé des chants : c’est dans leurs déguisements turcs que les nouveaux amants se lanceront aux trousses de leurs belles, après avoir épousé leurs ex !

Le plateau, emporté par la faconde du Don Alfonso sanguin et autocrate de Michael Volle, est heureusement de haute volée – ce qui n’exclut pas les faiblesses. La Fiordiligi de Julia Kleiter, par exemple. La jeune soprano allemande, qui possède un très joli timbre et un style élégant, n’a pas les registres extrêmes du rôle dans la voix. Les notes graves du « Come scoglio » sont tout simplement inaudibles, et les aigus manquent de brillant, de projection et surtout d’influx. Cette magnifique Pamina se risque là sur un terrain bien dangereux pour elle.

Le plateau, emporté par la faconde du Don Alfonso sanguin et autocrate de Michael Volle, est heureusement de haute volée – ce qui n’exclut pas les faiblesses

La Dorabella d’Angela Brower, malgré sa transformation par Bechtolf en clone de Bécassine, est par contre complètement à l’aise et à sa place. Sensualité, charme, piquant, la mezzo américaine a de surcroît une belle présence. Despina « historique » de la trilogie des Cosi bechtolfiens, la Tchèque Martina Jankova connaît son numéro par cœur, mais la voix est fraîche et fruitée, la technique soignée. Elle a le mérite de ne pas enlaidir sa voix tout en rendant plausibles ses apparitions en docteur et en notaire.

Un certain métal dans la couleur vocale d’Alessio Arduini n’est pas de refus pour Guglielmo, personnage orgueilleux, jaloux de ses prérogatives amoureuses, qui ne dédaigne pas empiéter sur celles des autres. De miel toutes fleurs est au contraire le Ferrando de Mauro Peter, qui tient sa partie sans le moindre effort. On aimerait du coup davantage de prise de risques dans l’expression : ainsi le fameux « Un’aura amorosa », parfait de ligne et somptueux de couleurs, mais dénué de ce frémissement ardent si typiquement mozartien. Dans la fosse placée au milieu du plateau, le chef d’orchestre italien Ottavio Dantone, à la tête de l’excellent Orchestre du Mozarteum, a servi un Mozart léger, pétillant et corsé à la fois, enclin à l’effervescence comme à l’élégie, à la virtuosité comme au recueillement. Tout ce qui a malheureusement déserté la scène.

« Cosi fan tutte », de Mozart. Avec Julia Kleiter, Angela Brower, Martina Jankova, Mauro Peter, Alessio Arduini, Michael Volle, Sven-Eric Bechtolf (mise en scène et décors), Mark Bouman (costumes), Friedrich Rom (lumières), Association des chœurs de l’Opéra de Vienne, Orchestre du Mozarteum de Salzbourg, Ottavio Dantone (direction). Festival de Salzbourg (Autriche). Jusqu’au 12 août. De 55 € à 430 €. salzburgerfestspiele.at