Près de 10 000 manifestants se sont rassemblés à Ahmedabad, la capitale du Gujarat, dimanche 31 juillet 2016. | Ajit Solanki / AP

Trois semaines après l’agression d’intouchables, ou « dalits », au Gujarat, dans l’ouest de l’Inde, près de 10 000 manifestants se sont rassemblés dans sa capitale, Ahmedabad, dimanche 31 juillet, pour protester contre les mauvais traitements dont ils sont victimes, avant d’entamer une marche vers Una.

C’est dans cette petite ville du Gujarat que quatre dalits ont été à demi dénudés et attachés à une voiture, le 11 juillet, avant d’être battus en pleine rue par des membres d’une brigade de « protection des vaches ». Ils leur reprochaient d’avoir tué le bovin qu’ils étaient en train d’équarrir, alors que l’abattage de bœuf, animal considéré comme sacré, est interdit dans cet Etat. Les policiers présents sur place n’avaient pas immédiatement réagi. L’affaire aurait sans doute fait moins de bruit si les assaillants n’avaient pas posté une vidéo d’eux-mêmes en train de frapper les dalits.

Au Gujarat, tous les membres de la communauté, à qui revient traditionnellement ce travail, refusent désormais de ramasser les carcasses de bétail qui pourrissent dans les rues et réclament l’autorisation de s’armer pour se défendre contre les brigades de protection des vaches. Ces dernières sont de « simples organisations sociales », a minimisé Thawar Chand Gehlot, le ministre indien de la justice sociale et de l’émancipation, ajoutant que l’erreur commise par la brigade au Gujarat a été de se précipiter sur la base d’une simple rumeur plutôt que d’« établir la véracité des faits et ensuite d’y aller ».

Les protecteurs de l’animal sacré n’hésitent pas à contourner la justice en infligeant eux-mêmes des châtiments.

Depuis l’arrivée au pouvoir, en 2014, du Bharatiya Janata Party (BJP) – le parti du premier ministre indien, Narendra Modi, lui-même originaire du Gujarat –, ces escadrons de nationalistes hindous ont gagné en visibilité. Dans les Etats qui ont interdit l’abattage et la consommation de bœuf, ils agissent souvent de concert avec la police pour débusquer les suspects. L’Etat de l’Haryana, limitrophe de Delhi, a même mis en place un centre d’appels pour encourager les habitants à dénoncer ceux qui tuent une vache ou transportent de la viande sans autorisation, un crime passible de plusieurs années de prison.

Les protecteurs de l’animal sacré n’hésitent pas à contourner la justice en infligeant eux-mêmes des châtiments. En septembre 2015, un musulman a été tué et son fils grièvement blessé par une foule de fanatiques hindous, après avoir été soupçonnés d’avoir tué une vache pour en consommer la viande.

C’est donc au nom de la défense de l’animal sacré que ces hommes et femmes sont tués ou battus. Les victimes appartiennent aux minorités religieuses, à savoir les musulmans et les chrétiens, et à la caste des dalits. Tous ont en commun de ne pas révérer la « mère vache ». Quel meilleur stratagème pour les nationalistes hindous que d’instiller, par la force autant que par la loi, la terreur autour de ce symbole pour affirmer leur suprématie ?

Privilèges menacés

Le premier ministre est resté étrangement silencieux sur ces exactions dans son allocution hebdomadaire radiophonique de dimanche. Le ministre indien de l’intérieur, Rajnath Singh, a tout juste déclaré que le chef du gouvernement était « très contrarié ». La dirigeante du Gujarat, Anandiben Patel, a également présenté sa démission lundi, sans mentionner les manifestations de dalits de la veille.

La position du BJP se révèle inconfortable, car les voix des dalits, qui sont 200 millions, pourraient être déterminantes lors des prochaines élections. A l’affût de gains électoraux, le BJP a bien tenté de promouvoir les basses castes dans ses rangs, mais il a du mal à masquer son idéologie nationaliste hindoue, qui défend l’« harmonie » du système de castes.

Narendra Modi, qui tente plutôt de gagner les voix des basses castes par la promesse du développement économique, peut-il encore longtemps fermer les yeux sur les violences dont elles sont victimes ? Selon les derniers chiffres officiels, les violences contre les dalits ont bondi de 17,1 % entre 2012 et 2013, et de 19,4 % l’année suivante.

Cette augmentation n’est pas seulement liée au contexte politique. L’ascension sociale d’une partie des dalits, qui accèdent à l’enseignement supérieur et aux postes de la fonction publique grâce aux quotas ou font fortune à la tête d’entreprises, provoque la colère des castes supérieures, dont les privilèges sont menacés.

Les basses castes paient cher leur émancipation. « La poursuite des violences contre les dalits est en train de créer les conditions d’un nouveau mouvement dalit explosif », redoute le politologue Pratap Bhanu Mehta dans les colonnes du quotidien The Indian Express.