L’illustrateur Pierre Le-Tan. | Despatin & Gobeli/Opale/Leemage

Pas d’échange de PDF ni de fichier jpg. Pierre Le-Tan, 66 ans, n’a toujours pas d’ordinateur. « Un acte de résistance, assume-t-il, une façon de garder un peu de liberté. » C’est donc en personne qu’il a apporté au journal ses dessins pour M, rangés dans une élégante pochette verte. Quelques jours plus tard, il est revenu vérifier sur les épreuves la densité du noir des ciels et le rendu des délicates hachures qui sont sa marque de fabrique.

Avec ses lunettes en écaille rondes devant ses yeux légèrement bridés, Pierre Le-Tan pourrait être un des personnages qui figurent sur ses dessins. Ces êtres un peu décalés, hors du temps, qu’il regarde « comme un entomologiste examine les insectes, avec un mélange de ­tendresse et de cruauté », dit-il.

Le dessinateur adepte de l’encre de Chine a commencé à 17 ans, en illustrant des couvertures du « New Yorker ». | The New Yorker

Jolie définition de son travail, tout en nostalgie malicieuse. Prenez la série qu’il a imaginée cet été pour M. Douze dessins évoquant autant de « destinations extrêmement tentantes pour les lecteurs », affirme-t-il en cherchant à garder son sérieux.

« Très tôt, j’ai su que, pour moi, c’était cela et pas autre chose : le dessin, et ma collection d’objets d’art. » Pierre Le-Tan

Qu’on en juge : Oustry et son musée de fossiles « malheureusement en travaux », Bruonges et ses chambres d’hôtes spartiates, Oudretot, que le groupe folklorique La Drillotte n’arrive guère à égayer… « Ici, je me suis inspiré d’une carte postale, confie ­Pierre Le-Tan. J’ai juste enlevé quelques musiciens et remplacé la longère normande par une sorte de HLM. »

Pierre Le-Tan a toujours vécu dans les images. Son père, Lê Phô, était un peintre vietnamien venu à Paris avant la guerre. Dans son enfance, le futur artiste l’observait à l’œuvre, visitait les musées, se plongeait dans de vieux livres chinois et japonais. « C’est en regardant tout cela que j’ai appris à dessiner. J’ai été imbibé. Très tôt, j’ai su que, pour moi, c’était cela et pas autre chose : le dessin, et ma collection d’objets d’art. »

Deux passions auxquelles il est resté fidèle. Depuis ses premiers travaux pour le New Yorker, à 17 ans, il n’a cessé de tremper sa plume dans l’encre de Chine. A son actif, d’innombrables dessins pour des magazines. Les ­couvertures de plus de cent livres de Marcel Aymé, Mario Soldati, Patrick Modiano et bien d’autres. Des publicités. Des affiches de films. Des décors de cinéma. Des tableaux. Des tissus pour les sacs de sa fille Olympia, créatrice de mode. Deux livres conçus avec son ami Modiano, deux autres avec Umberto Pasti. Et une quinzaine d’ouvrages signés de son seul nom, texte et images. Des bijoux de finesse et d’ironie.

Pierre Le-Tan a illustré les couvertures de plus de cent livres. | faber and Faber. Le Promeneur. Points

Il finit actuellement une série de publicités pour Laurent-Perrier, prépare une double exposition pour la fin de l’année, ainsi qu’un livre sur Paris pour 2017. Ce Paris d’hier et d’aujourd’hui qu’il connaît si bien. A part Modiano, qui d’autre que lui peut décrire l’ancien décor du Bidou Bar ou parler comme s’il venait de la croiser de Frede, la troublante garçonne qui dirigeait le Carroll’s dans les années 1950 ?

Quant aux œuvres d’art, Pierre Le-Tan les collectionne toujours de façon compulsive. Dans son appartement s’accumulent les estampes, les porcelaines, les boîtes laquées japonaises. Mais, promis, pas le moindre ­ordinateur.

Expositions : galerie Nicolas Schwed, 346, rue Saint-Honoré, Paris 1er. Tél. : 01-44-77-98-90.
Galerie Air de Paris, 32, rue Louise-Weiss, Paris 13e. www.airdeparis.com. A partir de décembre.