Editorial du « Monde ». Il en va ainsi en fin de mandat. Que l’exécutif s’arrête de réformer, et on l’accuse d’être en campagne électorale ; qu’il continue d’agir, et on lui reproche de préempter le suffrage universel. C’est particulièrement vrai lorsque les mesures décidées sont censées entrer en vigueur après les élections. Il en fut ainsi de la TVA sociale que Nicolas Sarkozy s’était décidé à faire adopter en 2012, et que les socialistes abolirent avant son entrée en vigueur prévue après la présidentielle. Il en va de même avec le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, proposé par le ministre des finances, ­Michel Sapin, en conseil des ministres au cœur de l’été : cette réforme entrerait en vigueur début 2018.

Le gouvernement présente cette réforme comme une évidence quasi technique, mais elle est plus politique qu’il y paraît. Les arguments en faveur du prélèvement à la source sont connus : il est plus pratique pour les contribuables d’acquitter leur impôt directement l’année de perception de leur revenu et de ne pas avoir à faire un chèque l’année suivante au Trésor public, même si la mensualisation a facilité les choses. Le fisc, lui, a intérêt à percevoir l’impôt sur le revenu au fil de l’eau, en phase avec la conjoncture, et à en confier la collecte aux entreprises.

Des gagnants et des perdants

Quelques questions méritent d’être posées. D’abord, la réforme n’est pas neutre. Elle implique, en 2018, de ne pas taxer les revenus de 2017, mais directement ceux de 2018. Cette transition fera des gagnants et des perdants : ceux qui partiront en retraite en 2018 et verront leurs revenus baisser cette année-là paieront en 2018 un impôt réduit (2017 n’étant pas taxé), tandis que les jeunes entrés cette année sur le marché du travail paieront leur impôt dès 2018, sans bénéficier du décalage quasi perpétuel de trésorerie d’un an. Le futur gouvernement aura à gérer les effets de bord multiples, et compliqués à prévoir, de la non-imposition de l’année 2017.

Ensuite, dit-on, l’impôt sur le revenu sera moins douloureux à prélever. Bercy y voit son avantage, mais il n’est pas forcément souhaitable que l’impôt soit indolore, dans un pays champion européen des dépenses publiques. La pression des contribuables peut l’aider à être économe de ses deniers.

Troisième débat, la confidentialité. Le fisc communiquera le taux d’imposition aux employeurs, qui auront donc une idée claire des revenus globaux de leurs salariés et de leur famille. Des garde-fous sont prévus : les salariés pourront demander un taux d’imposition neutre, mais ce sera laisser supposer qu’ils ont des revenus annexes importants.

Un préalable à la fusion CSG-impôt sur le revenu

A long terme, la France, qui a considérablement raboté le quotient familial, se dirige ainsi, de fait, vers l’individualisation de l’impôt sur le revenu, les avantages familiaux s’apparentant à un « crédit d’impôt forfaitaire », comme l’explique Gilles Carrez (Les Républicains), président de la commission des finances à l’Assemblée.

Ensuite, le prélèvement à la source apparaît comme un préalable à la fusion CSG-impôt sur le revenu promise en 2012 par le candidat Hollande mais compromise par le Conseil constitutionnel. La gauche rêve de faire financer la Sécurité sociale non pas de manière proportionnelle, mais progressive selon les revenus. Ce choix comporte le risque de taxer encore plus fortement les classes moyennes, alors que l’impôt sur le revenu est déjà extrêmement concentré sur 45 % des ménages. On le voit, le prélèvement à la source est un début de choix politique, qui mérite un vrai débat.