La réforme du prélèvement à la source doit entrer en application le 1er janvier 2018. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Vieux serpent de mer, le projet de réforme du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, qui devrait s’appliquer à partir du 1er janvier 2018, a finalement été officialisé à l’occasion du conseil des ministres, mercredi 3 août. Le dispositif détaillé doit être inscrit dans le projet de loi de finances pour 2017 présenté à l’automne.

Retour sur les arguments des partisans et des opposants à cette mesure.

Les arguments des partisans du prélèvement à la source

  • Un impôt ajusté en temps réel aux revenus réellement perçus

C’est « l’objectif principal » affiché par le gouvernement : faire coïncider le moment où l’on perçoit son revenu et celui où l’on acquitte ses impôts. « Avec le décalage d’un an qui existe aujourd’hui entre la perception des revenus et l’acquittement des impôts dus au titre de ces revenus, nombre de nos concitoyens peuvent se retrouver en difficulté, par manque de trésorerie lorsque des changements – parfois imprévisibles – se produisent », explique le gouvernement sur son site.

Selon un rapport du conseil des prélèvements obligatoires (CPO), 30 à 40 % des contribuables connaissent chaque année une baisse de revenus en raison de changements liés à un départ en retraite, une situation de chômage, de divorce ou de pertes d’allocations familiales… Avec la retenue à la source, le montant du prélèvement variera automatiquement en cours d’année en fonction de l’évolution des revenus.

  • Les démarches du contribuable simplifiées

Cette réforme s’inscrit dans le cadre du « choc de simplification » voulu par le gouvernement. Les contribuables n’auront plus à s’occuper du paiement de leur impôt, puisque celui-ci sera automatisé et mensualisé. « Le calcul des impôts ne change pas, c’est le prélèvement qui aura lieu à la source, comme pour la CSG ou les cotisations, au moment où l’on touche son revenu, a indiqué le ministre de l’économie Michel Sapin au Journal du dimanche. Pour 90 % des Français, qui perçoivent uniquement un salaire ou une retraite, ce sera d’une simplicité absolue. »

  • Une administration fiscale plus efficace

Grâce au caractère automatisé de la retenue à la source, les gains de productivité de l’administration seront « non négligeables », selon Terra Nova. Ce cercle de réflexion évalue les économies potentielles à environ 10 000 emplois et un point de « taux d’intervention » de l’administration sur l’impôt – le ratio des ressources publiques utilisées pour lever l’impôt rapporté au total des recettes générées. Des ressources qui pourraient être libérées au profit d’autres missions, telle la lutte contre la fraude fiscale.

  • Des effets positifs sur l’économie

Avec la suppression d’un paiement différé de l’impôt sur le revenu, l’épargne de précaution des ménages pourrait diminuer, au profit de la consommation et de l’investissement.

« La retenue à la source permet en principe au contribuable de bénéficier d’un revenu net d’impôt : elle réduit donc son incertitude quant aux dépenses futures et aux sommes à provisionner en conséquence », explique le CPO. Celui-ci estime toutefois que cette baisse n’aurait qu’un impact « marginal » sur la croissance du produit intérieur brut, alors que Terra Nova juge qu’elle pourrait être plus importante.

Autre effet escompté, l’amélioration de l’efficience et de la réactivité de la politique fiscale, en raccourcissant le délai entre l’adoption de nouvelles dispositions dans le cadre de la loi de finances et le moment où celle-ci se matérialise pour le citoyen.

  • Faciliter une « remise à plat de la fiscalité »

C’était l’un des engagements de campagne du candidat François Hollande : mener une grande réforme fiscale permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG) dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu. Mercredi, le porte-parole du gouvernement a toutefois démenti que cet objectif soit toujours d’actualité : une fusion avec la CSG est « hors de question », a assuré Stéphane Le Foll.

Pour ses partisans, la retenue à la source apparaît en tout cas comme un passage obligé avant une réforme plus large de la fiscalité française. « Au final, [le prélèvement à la source] permettra à l’avenir de réformer plus facilement cet impôt pour le rendre plus juste, qu’il s’agisse de remettre en cause des niches fiscales ou de rapprocher l’impôt sur le revenu et la CSG », estimait en 2015 le vice-président de la commission des finances, Dominique Lefebvre (PS), dans l’Humanité.

« Le prélèvement à la source est une étape intermédiaire en vue d’une simplification plus structurelle de la fiscalité des revenus en France, écrit aussi Terra Nova. Dans son esprit comme dans sa mise en œuvre, il préfigure un peu ce que pourrait être une imposition modernisée des revenus en France. »

Les arguments des opposants

  • Pas de réelle simplification pour le contribuable

Le prélèvement à la source simplifiera-t-il les choses pour le contribuable ? Non, assurent nombre d’opposants à la réforme, car les mesures de simplification et de modernisation mises en place ces dernières années ont déjà largement facilité le paiement de l’impôt sur le revenu. Aujourd’hui, 90 % des contribuables reçoivent déjà une déclaration préremplie et en 2010, près de 73 % étaient mensualisés.

« Cette réforme nous paraît aujourd’hui inutile, compte tenu des progrès faits dans le fonctionnement de l’impôt sur le revenu ces dernières années, y compris depuis 2012, a expliqué au “Monde” le président (LR) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez. La généralisation de la mensualisation, les déclarations préremplies et la très grande réactivité des services fiscaux face aux modifications de ressources que peuvent connaître les contribuables rendent inutile le prélèvement à la source. »

Comme le soulignait en 2012 le CPO, « les démarches pour le calcul de l’impôt dépendent d’abord de la complexité de l’impôt lui-même, et non pas de son mode de paiement ». Avec le prélèvement à la source, le contribuable continuera malgré tout à remplir une déclaration de revenus, à signaler à l’administration ses changements de situation…

« La retenue à la source n’apporterait de simplifications qu’au niveau du paiement de l’impôt (mais pas en matière de déclaration), uniquement pour les 13 % de contribuables qui n’utilisent pas les moyens de paiement dématérialisés », estime le CPO.

  • Pas de simplification pour l’administration fiscale

Selon le CPO, les gains de productivité à attendre de l’administration, après la mise en place du prélèvement obligatoire, seront « faibles ». « Si le recouvrement de l’impôt sur le revenu est cher, c’est parce qu’il s’agit d’un prélèvement complexe, intégrant une grande variété de paramètres, qui nécessite de ce fait une gestion personnalisée », rappelle-t-il. L’administration devrait conserver l’essentiel de ses tâches de gestion administrative des contribuables, d’envoi des déclarations, etc.

Le CPO estime donc l’économie de gestion à « moins de 200 équivalents temps plein et une économie totale annuelle d’environ 12 millions d’euros ».

  • Une charge supplémentaire pour les entreprises

Si le président du Medef, Pierre Gattaz, ne se dit pas opposé à long terme au principe du prélèvement à la source, il juge toutefois que c’est une « très mauvaise idée » à court terme, en raison des charges supplémentaires que cela va faire peser sur les entreprises. « Un tel projet va ajouter de la complexité et un stress supplémentaire aux entreprises, à qui l’on demanderait de prélever l’impôt », a-t-il déclaré aux Echos.

Même réaction du côté de la CGPME, de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) ou encore de Jean-Paul Charlez, président de l’Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH), cité par l’Express :

« L’entreprise n’a rien à gagner à devenir collecteur de l’impôt pour le compte de l’Etat. C’est une nouvelle tâche, une nouvelle responsabilité, le tout non rémunéré. »

Selon le CPO, le coût pour les employeurs pourrait représenter entre 1,3 % et 3,5 % de la valeur des impôts collectés.

  • Des relations de travail perturbées

« Est-ce qu’on a envie que son employeur sache quelle est sa tranche d’imposition, si on verse des pensions ou pas ? » s’est interrogé l’ancien ministre du travail, Xavier Bertrand (LR).

La question de la confidentialité préoccupe les opposants à la réforme, car le fisc communiquera le taux d’imposition des salariés aux employeurs, qui auront donc une idée claire des revenus globaux de leurs salariés et de leur famille. Des garde-fous sont toutefois prévus, les salariés pouvant notamment demander un taux d’imposition neutre.

« Des tensions peuvent apparaître entre salariés, puisque deux salariés occupant la même fonction pourraient dorénavant recevoir un salaire net différent si leurs taux d’imposition sont différents (par exemple, si l’un a des enfants et l’autre pas) », note aussi le CPO. Il n’exclut pas non plus que les variations de salaire net, engendrées par la retenue à la source, provoquent de nouvelles revendications salariales.

  • Diminuer le consentement à l’impôt

Selon le CPO, la retenue à la source pourrait « affaiblir le civisme fiscal » du contribuable, car son impôt, prélevé à la source, n’apparaîtra plus sur son compte bancaire, où seul figurera son salaire net. Aujourd’hui, il reçoit une fois par an un avis d’imposition au titre de l’ensemble de ses revenus, ce qui est jugé plus « compréhensible » par le conseil.

  • Un pas vers une fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu

Si certains s’opposent à cette réforme, c’est aussi parce qu’ils estiment qu’elle en préfigure une autre : la fusion de l’impôt sur le revenu, progressif, et de la CSG, proportionnelle. Une mesure à laquelle Gilles Carrez est « totalement opposé » :

« L’impôt sur le revenu souffre déjà d’une concentration de plus en plus excessive : aujourd’hui, moins de la moitié des foyers fiscaux payent cet impôt. Si la CSG devenait progressive et subissait elle aussi la même concentration, cela serait un vrai martyr fiscal pour les classes moyennes et supérieures. »

Le président de la commission des finances redoute aussi que le passage à la retenue à la source mène ensuite à la mise en place d’un impôt individualisé et non plus « familiarisé », c’est-à-dire calculé par foyer fiscal, comme c’est le cas aujourd’hui.