Puisqu’on n’a pas pu voir les méchants de Suicide Squad avant la sortie de ce nouveau film de super-héros, on s’en tiendra, au rayon des nouveautés, à un seul titre : Sieranevada, du Roumain Cristi Puiu. Mais cette pénurie est l’occasion de redécouvrir aussi bien les débuts d’un génie taïwanais que les classiques de Douglas Sirk.

RECETTE SARDONIQUE POUR REPAS DE DEUIL : « Sieranevada », de Cristi Puiu

SIERANEVADA - Bande-annonce - Un film de Cristi Puiu
Durée : 01:50

Présenté au Festival de Cannes, où il reçut un accueil mitigé, Sieranevada est un nouveau tour de force signé Cristi Puiu. Après La Mort de Dante Lazarescu et Aurora, voici un film de près de trois heures qui montre les membres d’une famille, réunis dans un logement exigu de la banlieue de Bucarest pour un banquet funèbre, s’empêchant les uns les autres de manger, à force de querelles et de discussions oiseuses. La caméra, généralement postée dans l’entrée de l’appartement, point d’observation idéal de la circulation des personnages, s’insinue parfois dans l’une ou l’autre des pièces.

Le sentiment prévaut d’une familière étrangeté. Dans l’attente, on converse, on s’affaire, on se croise, on s’apostrophe, et l’ambiance s’échauffant, on se prend pas mal la tête. Le souvenir de Festen (1998), de Thomas Vinterberg, remonte sans le vouloir à la mémoire. C’est un faux ami. Rien à voir entre les cadavres dans le placard familial du Danois et la débâcle des rituels qui électrise le clan roumain. Le premier se croyait chez les Atrides, le second met une perruque à La Cantatrice chauve de son compatriote Ionesco. Jacques Mandelbaum

Film roumain de Cristi Puiu, avec Mimi Branescu, Dana Dogaru, Ana Ciontea (2 h 53).

NAISSANCE D’UN MAÎTRE : « Les Garçons de Fengkuei », de Hou Hsiao-hsien

Rétrospective Hou Hsiao-Hsien : bande-annonce
Durée : 01:38

Jamais distribué en France, Les Garçons de Fengkuei (1983) peut être qualifié de chef-d’œuvre. Ce quatrième long-métrage de l’auteur est une révolution, qu’on doit à la rencontre déterminante de Hou Hsiao-hsien avec la romancière Chu Tien-wen, qui devient sa scénariste attitrée. Le film inaugure une tétralogie autobiographique fondée sur les souvenirs de jeunesse du cinéaste – en l’occurrence son adolescence délinquante dans les rues de Fengshang, dans le sud de Taïwan. Il retrace l’existence d’une bande de petits voyous dans un village de pêcheurs des îles Penghu, entre bagarres de rue, blagues potaches, drague rigolarde et coups à la sauvette.

Hou s’intéresse avant tout à leur attitude grégaire et bravache, filmant à travers cette troupe de jeunes acteurs inexpérimentés une jeunesse effrontée fleurissant dans sa gloire insolente. La chamaillerie n’est jamais très loin de l’échauffourée, les corps se toisent, se percutent, et le geste comme impulsion règne sur ce petit monde bouillonnant dans l’apathie provinciale. Par rapport à ses trois premiers films, Hou invente une temporalité qui n’appartient qu’à lui et tiendrait à la fois de l’instantané et du souvenir. La caméra s’ancre solidement dans l’espace, prononce la distance qui la sépare des personnages pour mieux laisser vivre la réalité qui les entoure. Leur jeunesse est saisie dans une double dimension d’éternité et de fugacité. Mathieu Macheret

Dans le cadre de la rétrospective Hou Hsiao-hsien, qui présente également Cute Girl (1980), Green, Green Grass of Home (1982), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986).

L’AMOUR À PERTE DE VUE : « Le Secret magnifique », de Douglas Sirk

Rock Hudson et Jane Wyman dans « Le Secret magnifique », de Douglas Sirk (1954). | CINÉ SORBONNE

Edité en DVD chez Carlotta, il y a une dizaine d’années, Le Secret magnifique est absent des grands écrans depuis des décennies, alors qu’on a vu et revu les autres grands mélodrames de Douglas Sirk, Tout ce que le ciel permet ou Ecrit sur du vent. C’est pourtant avec ce film, réalisé en 1954, que le cinéaste établit son emprise sur ce genre. Remake de l’adaptation d’un best-seller par John M. Stahl (Le Secret magnifique, 1934, avec Irene Dunne et Robert Taylor), la version de Sirk est d’une acuité formelle, d’une modernité qui transcendent les limites du mélodrame.

Rock Hudson, playboy dégénéré sur la voie de la rédemption, Jane Wyman, martyre amoureuse victime de tous les accidents de la vie, se cherchent et se trouvent à travers les périls du monde moderne de l’après-guerre : accidents mécaniques et maladies (crise cardiaque, cécité) ont pris la place des conflits et des exodes. Douglas Sirk filme ce monde ordinaire avec la ferveur du peintre mystique et dirige ses acteurs trop humains dans ce labyrinthe sillonné de quadrimoteurs transcontinentaux, de hors-bord ultrarapides et d’automobiles chromées. Thomas Sotinel

Film américain de Douglas Sirk (1954), avec Jane Wyman et Rock Hudson (1 h 45), présenté à la Filmothèque du Quartier latin, 8, rue Champollion, Paris 5e, en même temps que Tout ce que le ciel permet.

LA VILLETTE PASSE EN INTÉRIEUR NUIT

Adam West et Burt Ward dans « Batman » de Leslie H. Martinson (1966) | CINÉMA EN PLEIN AIR LA VILLETTE

Victime d’une météo qui n’a rien à voir avec les éléments, le Cinéma en plein air de La Villette s’est replié sous un toit, en l’occurrence la verrière de la Grande Halle, tout en maintenant une programmation au titre énigmatique : Dress Code. Celui-ci est assez fluctuant pour que la programmation de la semaine rassemble les interdits vestimentaires à l’œuvre dans le magnifique Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako (le 4 août), les tenues exquisément décontractées de Gemma Arterton en Tamara Drewe (la malicieuse mise à jour de Loin de la foule déchaînée par Stephen Frears sera projetée le 5 août) et les costumes délirants du vieux Batman, de Leslie H. Martinson, réalisé en 1966, en un temps où les super-héros ne se prenaient pas au sérieux (le 7 août). T. S.

Grande Halle de La Villette, porte de Pantin, Paris 19e, séances à 21 h 30.