Jared Leto dans « Suicide Squad ». | Courtesy of Warner Bros. Picture / AP

L’avis du « Monde » - On peut éviter

Arrive souvent au cinéma le moment où l’un des personnages énonce, l’air résolu : « Let’s do this ». Le pronom démonstratif désignant le sauvetage de l’espèce humaine, le braquage d’une banque, l’assaut sur une position ennemie… Ici, dans un édifice néoclassique qui ressemble étrangement à celui qui servit de cadre au final de Batman v Superman, ce cliché est proféré par un gentil soldat américain, Rick Flag (Richard Drapeau, en français), incarné par un beau blond suédois, Joel Kinnaman. Il emmène au combat contre les forces du mal (une méchante sorcière, comme dans Blanche Neige) une escouade vouée à la mort (un « suicide squad ») composée de méchants issus de l’univers de la maison d’édition DC Comics.

On reconnaîtra dans ces surdoués du crime les cauchemars successifs de la majorité américaine : Deadshot, le tueur afro-américain, Harley Quinn (Margot Robbie), l’adolescente hypersexuée et rebelle, Diablo (Jay Hernandez), le pyromane latino, Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje), le sans-abri monstrueux… La mythologie de DC, l’éditeur de Superman et Batman, colle depuis longtemps aux tourments des Etats-Unis sans jamais se permettre les écarts fantaisistes de Marvel, son concurrent et – pour l’instant – vainqueur.

Margot Robbie, une criminelle touchante

Il est d’ailleurs peu probable que Suicide Squad permette au conglomérat Warner-DC de reprendre l’avantage sur Disney-Marvel. Comme l’a montré la campagne d’affichage sauvage sur les murs de Paris, le film de David Ayer (réalisateur passionnant du polar End of Watch et du film de guerre Fury) voudrait se faire passer pour l’homologue des rues, brut et grossier, des sagas mettant en scène un riche héritier (Batman) et un gamin de la campagne (Superman). Cette aspiration est contrée par la nécessité de passer la censure qu’impose la cote PG13 (un avertissement à l’adresse des parents) sans laquelle le film ne peut amasser les 200 millions de dollars de recettes nord-américaines nécessaires à sa rentabilité.

C’est ainsi que les ennemis de ces criminels endurcis ne peuvent être humains (ce sont des êtres à la consistance charbonneuse générés par la sorcière et son acolyte), que le Joker (Jared Leto, qui s’épuise à s’efforcer de ne ressembler ni à Jack Nicholson ni à Heath Ledger) ne fait rien de pire que délivrer sa fiancée, Harley Quinn. Quant aux personnages présentés comme la lie de l’humanité, ils feront assaut de sens de la famille et d’altruisme au fil de séquences aussi convenues que le cliché mentionné plus haut.

Margot Robbie dans « Suicide Squad ». | Clay Enos / AP

Si Suicide Squad n’est pas aussi ennuyeux que les grands ratages du genre (Les Quatre Fantastiques, Batman v Superman, pour ne parler que des plus récents), c’est à Margot Robbie qu’il le doit. La jeune actrice (vue en épouse décorative de Leonard DiCaprio dans Le Loup de Wall Street) fait preuve d’un sens chorégraphique étonnant doublé d’un timing comique impeccable qui rendent séduisant et parfois touchant son personnage de criminelle bipolaire. Mais ce n’est qu’une touche de couleur dans un univers dont l’obscurité délibérée (une norme fixée par Christopher Nolan lorsqu’il reprit le personnage de Batman) sert ici à masquer les incohérences.

Film américain de David Ayer, avec Will Smith, Margot Robbie, Jared Leto, Viola Davis. (2 h 03).