Un opposant au centre de détention de Nauru montre le portrait d’une réfugiée somalienne qui s’est immolée par le feu, le 4 mai 2016 à à Sydney. | SAEED KHAN / AFP

Deux responsables d’Amnesty International et de Human Rights Watch (HRW) ont réussi à passer douze jours en juillet à Nauru, un îlot du Pacifique de 21 km2, l’un des plus petits Etats du monde. C’est aussi l’un des plus secrets : le visa est rarement accordé aux journalistes et coûte 8 000 dollars (7 200 euros). Seuls deux médias ont pu se rendre sur cette île depuis janvier 2014. Amnesty avait demandé des visas à six reprises par le passé, sans succès. Les représentants des deux organisations de défense des droits de l’homme ont donc décidé d’entrer sur l’île incognito, sans dévoiler leur fonction.

Nauru ne veut pas que l’on s’intéresse aux réfugiés et aux demandeurs d’asile qui se trouvent sur son sol. Tous ont fui leur pays, souvent plongé dans la guerre, pour tenter de gagner l’Australie clandestinement. Mais la politique de Canberra est extrêmement dure contre les boat people, et les envoie sur cette île isolée en échange d’un soutien financier à Nauru, qui sous-traite la gestion des réfugiés à des sociétés privées. L’Australie avait fait fermer le centre, dénoncé pour les conditions de vie et de détention qu’il imposait, mais l’a rouvert en 2012 face à l’afflux de migrants.

Dans un rapport publié mercredi 3 août, la directrice des recherches d’Amnesty international, Anna Neistat, dénonce une politique australienne pour les demandeurs d’asile « cruelle à l’extrême ». « Peu de pays vont aussi loin pour infliger délibérément de la souffrance à des gens en quête de sécurité et de paix », critique-t- elle. Et de diffuser sur Twitter, le 3 août, une vidéo d’une réfugiée montrant les conditions de vie déplorables dans sa chambre :

Il y a, à Nauru, environ 1 200 demandeurs d’asile, y compris des dizaines d’enfants, dont 70 % ont le statut de réfugié. Les représentants de ces ONG dénoncent des « traitements inhumains ». Ils ont interrogé 84 personnes, dont 39 femmes et 9 enfants. Ces migrants viennent d’Iran, d’Irak, du Pakistan, de Somalie, du Bangladesh ou d’Afghanistan. Ils les ont entendus exprimer leur désir de mettre fin à leurs jours.

Certains tentent de s’ouvrir les veines avec un couteau en plastique ou d’en finir en avalant une bouteille de shampoing, a constaté Mme Neistat, qui ajoute : « Ces gens sont poussés à un niveau de désespoir tel qu’ils considèrent que l’auto-mutilation est le seul levier pour se faire entendre et le suicide la seule issue. » Une adolescente de 15 ans lui a confié « être fatiguée de sa vie » et avoir commis deux tentatives de suicide.

Tous ont été traumatisés par le décès d’un réfugié iranien de 23 ans en mai. Il s’était immolé par le feu devant trois délégués du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, venus inspecter les conditions de vie à Nauru. Avant de s’enflammer, il aurait dit : « Cette action prouvera à quel point nous sommes épuisés, je n’en peux plus. » Les personnes rencontrées par Amnesty International et HRW ont expliqué souffrir de forte anxiété, de dépression, de pertes de mémoire, sans pour autant bénéficier d’un suivi médical adapté.

Depuis 2015, les demandeurs d’asile ne sont plus obligés de rester dans le centre de détention et peuvent se déplacer sur l’île, qui compte environ 10 000 habitants. Mais les chercheurs des deux ONG ont jugé les conditions de vie « exécrables » à Nauru pour ces migrants. Beaucoup affirment avoir été battus, volés, harcelés par des locaux. Des femmes ont rapporté des agressions sexuelles. « Quand je quittais le camp, je me sentais en danger, je ne pouvais pas sortir. J’ai décidé de me marier avec un homme de 15 ans de plus que moi, juste pour être protégée », a confié une femme.

« Politique délibérée » de Canberra

La plupart de ces migrants, qui se trouvent à Nauru depuis plusieurs années, n’ont aucun moyen de savoir combien de temps encore ils devront rester sur l’île, comparée à une « prison ». Malgré les critiques de l’ONU et les rapports successifs, Canberra n’a rien fait pour changer la situation, dénoncent les deux ONG, qui en tirent une conclusion grave : le fait que le gouvernement australien « n’apporte aucune réponse aux importants abus commis semble être une politique délibérée pour dissuader d’autres demandeurs d’asile de venir dans le pays en bateau ». Conduire les réfugiés à Nauru « au point de rupture » serait, à leurs yeux, « un des objectifs de l’Australie ».

Le ministère de l’immigration australien a reproché à Amnesty International et à HRW de ne pas avoir consulté les autorités pour leur rapport et « rejette fortement plusieurs allégations ». Le gouvernement conservateur défend sa politique, affirmant qu’elle sauve des vies en évitant des noyades. Le premier ministre, Malcolm Turnbull, se félicite d’avoir « arrêté les bateaux », estimant que cela permet d’assurer la sécurité aux frontières. L’Australie campe sur sa position : les clandestins, quelle que soit leur histoire, et même s’ils sont réfugiés, ne seront jamais autorisés à s’installer dans le pays.