Dans les vieux quartiers de New Delhi, mardi 2 août. | CHANDAN KHANNA / AFP

La réforme de la TVA unique, tant attendue depuis l’élection du premier ministre indien, Narendra Modi, en 2014, a été votée, mercredi 3 août, au Parlement. Qualifiée de « plus importante réforme fiscale depuis l’indépendance » par le ministre des finances, Arun Jaitley, la taxe sur les biens et services (GST) stimulera l’activité économique et contribuera à « la facilité à faire des affaires » en remplaçant une myriade d’impôts (17 en tout). Ce n’est rien de moins qu’un marché unique auquel elle va donner naissance, en faisant tomber les barrières entre les Etats du pays. Les produits et les services seront taxés au même taux, mettant fin à une mosaïque d’exemptions.

La GST permettra de lutter efficacement contre l’évasion fiscale. Chaque entreprise en bout de chaîne de production devra présenter les factures des biens intermédiaires consommés pour justifier du montant de sa TVA. En cas de litige ou de redressement fiscal, les entreprises n’auront désormais qu’une administration comme interlocutrice. M. Modi tient là sa promesse de simplifier la vie des sociétés, dans un pays où la bureaucratie est réputée cauchemardesque. Selon M. Jaitley, cette réforme pourrait augmenter jusqu’à deux points la croissance indienne.

La réforme fiscale pourrait augmenter jusqu’à deux points la croissance du pays

En se substituant aux multiples taxes qui freinaient la circulation des biens sur le territoire, et en étant prélevée sur la consommation, cette TVA unique devrait ­favoriser l’industrialisation du pays. Actuellement, un produit sortant d’une usine dans un Etat Indien, transformé dans un deuxième et enfin vendu dans un troisième est plus lourdement taxé qu’un produit importé. Les camions de marchandises doivent également attendre des heures, voire des jours entiers, aux péages de chaque Etat pour s’acquitter de droits d’entrée, et éventuellement de pots-de-vin.

Un pas supplémentaire vers l’unification du pays

En une journée, les camions n’effectuent en moyenne que le tiers de la distance parcourue aux Etats-Unis, ce qui augmente les coûts et les délais de livraison. Une entreprise du sud de l’Inde a plus intérêt à s’approvisionner en Chine que dans le nord de l’Inde : c’est plus rapide et moins cher. « La politique fiscale indienne pénalise la production manufacturière domestique », soulignait le rapport publié en décembre 2015 sur la GST par l’économiste en chef auprès du premier ministre, en concluant par cette recommandation : « Making in India by making one India » (« Fabriquer en Inde en faisant une Inde »).

Le rapport résume l’ampleur de la tâche à accomplir :

« Mettre en place une nouvelle taxe, à la fois sur les produits et les services, pilotée par le gouvernement central, 29 Etats et deux territoires de l’Union, dans un vaste et complexe système fédéral par le biais d’un amendement constitutionnel, et rassemblant les dernières technologies pour améliorer la méthode de taxation, est sans doute sans précédent dans l’histoire fiscale du monde moderne. »

Le gouvernement n’a pas lésiné sur les efforts pour porter cette réforme, à laquelle il a accolé le slogan « une nation, une taxe », suggérant par là que la GST était un pas supplémentaire vers l’unification du pays. Il a dû batailler pour convaincre l’opposition, majoritaire à la chambre haute du Parlement et réticente à lui offrir cette victoire politique. Il y a dix ans, la situation était inverse : le Parti du Congrès, alors au pouvoir, voulait mettre en place la réforme, tandis que Narendra Modi y était farouchement opposé. Les deux grandes formations politiques, qui « changent d’opinion en fonction de leur place au Parlement », ont « gagné la médaille olympique du ping-pong » s’est amusé Derek O’Brien, le député d’un parti régional, lors des débats parlementaires, mercredi.

Question de l’équité pas abordée

L’amendement constitutionnel doit encore être ratifié par au moins la moitié des 29 parlements régionaux avant d’être définitivement adopté. Le gouvernement central a promis aux Etats de compenser les pertes financières entraînées par la réforme fiscale pendant cinq ans. La GST va bénéficier aux Etats où la consommation est élevée au détriment de ceux qui possèdent d’importantes capacités de productions manufacturières. Une commission qui réunit des représentants de chaque gouvernement régional et le ministre des finances va désormais se réunir pour fixer le taux de la taxe, qui devrait approcher les 18 %, et définir les catégories de produits qui seront exclues de l’assujettissement à cette nouvelle TVA fédérale, comme l’alcool, les cigarettes ou encore l’essence.

Dans ce débat tourné vers la « facilité à faire des affaires », il n’a pas été question de l’équité de cette réforme fiscale. Or la part des impôts indirects, que doivent payer tous les consommateurs sans distinction de leurs niveaux de revenus, ne cesse d’augmenter dans le budget de l’Etat. Seuls 4 % des Indiens déclarent des impôts sur le revenu.

« Les réformes fiscales ne devraient pas seulement servir à augmenter la production, estime Sarvar Allam, chargé des services fiscaux dans l’Etat du Tamil Nadu (sud), mais plutôt à augmenter les recettes afin d’éradiquer la pauvreté et à créer une société plus équitable. »

Un argument passé complètement sous silence.