Un interféromètre servant à l'observation des ondes gravitationnelles (LIGO) le 8 février 2016. | LIGO LABORATORY/REUTERS

Enorme secousse dans le monde scientifique, pour une découverte majeure, à ranger au sommet des plus grandes percées de la connaissance. Pour la première fois, des vibrations venues de l’espace et d’une étrange nature ont été détectées sur Terre, confirmant une prédiction d’Albert Einstein vieille d’un siècle.

Ces tressautements, baptisés « ondes gravitationnelles », compriment et dilatent à la vitesse de la lumière l’espace-temps qui nous entoure, comme le son le fait avec l’air.« Ou comme du veau en gelée tremblote lorsqu’on le secoue », aime à dire Thibault Damour, spécialiste de la relativité générale à l’Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette (Essonne). L’espace-temps, c’est-à-dire la trame même du monde dans lequel nous vivons, est donc un contenant élastique, susceptible d’onduler à la manière des rides à la surface d’une eau perturbée par le lancer d’un caillou.

La détection de ce premier clapotis cosmique est détaillée dans la revue Physical Review Letters du 11 février par l’équipe de l’instrument LIGO, aux Etats-Unis, en collaboration avec celles de Virgo, détecteur essentiellement franco-italien et construit près de Pise, et de GEO600, en Allemagne. « Cette détection est le début d’une nouvelle ère, celle de l’astronomie des ondes gravitationnelles devenue désormais une réalité », a lancé Gabriela Gonzalez, porte-parole de l’équipe LIGO, professeur d’astrophysique à la Louisiana State University.

Aboutissement

Les chercheurs ont repéré l’infime effet du passage d’une telle onde, qui a la capacité étonnante de distordre les distances, de les allonger ou de les réduire très légèrement. Aucune autre onde ne peut le faire. L’effet est faible, de l’ordre d’une variation du dix millième de la taille d’une particule élémentaire (environ 10-19 m). Autrement dit, comme si l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure, située à plus de quatre années-lumière de la Terre, se rapprochait de nous d’un demi-diamètre de cheveu…

« Nous verrons enfin des choses jamais vues parce qu’elles n’émettent pas de lumière », souligne Pierre Binétruy, professeur à l’université Paris-VII

Pour mesurer une si minuscule distance, les chercheurs ont construit depuis vingt ans des « amplificateurs » géants. LIGO est ainsi fait de deux tunnels perpendiculaires de quatre kilomètres de long chacun. A l’intérieur, deux faisceaux laser, parfaitement synchronisés entre eux, effectuent des dizaines d’allers-retours entre des miroirs. Puis, ces deux rayons sont recombinés à la sortie afin de vérifier leur synchronisation. Si une onde gravitationnelle secoue l’espace-temps et se propage jusque-là, elle étire un trajet lumineux avant l’autre, désynchronisant les lasers.

C’est ce qui s’est passé le 14 septembre 2015 à 11 h 51 (heure française) sur les deux sites américains jumeaux construits en Louisiane et dans l’Etat de Washington à 3 000 kilomètres de distance. Les « sismographes » se sont agités avec 7 millisecondes de décalage. « C’était trop beau pour être vrai ! », se souvient Jean-Yves Vinet, ancien responsable de Virgo (2007-2011), aujourd’hui directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Mais après des semaines de vérifications, écartant toute erreur, la confirmation est arrivée. « C’est l’aboutissement d’un très gros travail. C’est enthousiasmant », constate Eric Chassande-Mottin, chercheur CNRS du laboratoire Astroparticule et cosmologie.

Le signal enregistré par les chercheurs précise, en outre, l’origine de cette secousse, apportant une seconde découverte majeure. Il s’agit de la fusion de deux trous noirs en un nouveau, deux fois plus gros. Le duo est, respectivement, vingt-neuf et trente-six fois plus massif que le Soleil, et situé à plus d’un milliard d’années-lumière de la Terre.« C’est extraordinaire. Quand j’ai commencé ces travaux, dans les années 1970, les trous noirs n’étaient à peine qu’une hypothèse », se souvient Jean-Yves Vinet.

Mieux, les chercheurs ont vu respirer ces géants d’où aucune lumière ni matière ne peuvent s’échapper. Lorsque les deux trous noirs se rapprochent, des ondes gravitationnelles sont créées, affolant périodiquement les détecteurs de LIGO. Puis, quand ils fusionnent, l’objet patatoïde qui en résulte n’adopte pas immédiatement une forme stable. Il vibre, telle une cloche, et fait trembler la gelée cosmique jusqu’aux détecteurs terrestres, d’une manière différente de la sarabande précédente. Un nouveau trou noir est en train de naître. « La masse finale du trou noir est 62 fois celle du Soleil. C’est moins que la somme des deux trous noirs ; l’excédent a été converti en ondes gravitationnelles », indique Nicolas Arnaud (CNRS) du Laboratoire de l’accélérateur linéaire à Orsay.

C’est à ce spectacle et à bien d’autres que rêvent d’assister plus souvent les astronomes désormais. « Cela ouvre une grande période nouvelle et excitante. L’Univers est mû par la gravité, mais on ne l’observe qu’avec la lumière. Nous verrons enfin des choses jamais vues parce qu’elles n’émettent pas de lumière, estime Pierre Binétruy, professeur à l’université Paris-VII. Nous changeons d’époque. » « A chaque fois que nous braquons un nouvel instrument vers le ciel, on voit et on comprend des choses nouvelles. Ce fut le cas avec Galilée pointant sa lunette vers Jupiter et découvrant ses satellites », rappelle Jean-Yves Vinet.

Une nouvelle fenêtre astronomique

Seuls des événements impliquant de gros objets en mouvement peuvent faire osciller la gelée de veau cosmique. Comme des étoiles explosant en supernova ; ou des étoiles mourant et se contractant en trou noir ou en étoiles à neutrons, appelées également « pulsars », qui condensent l’équivalent de la masse du Soleil sur seulement dix kilomètres de rayon ; ou encore l’origine violente de l’Univers au moment du Big Bang, il y a plus de treize milliards d’années.

Cette première découverte ouvre donc une nouvelle fenêtre astronomique sur ces phénomènes, en élargissant le spectre des moyens d’observation après la lumière visible, les rayons X, infrarouges, ultraviolets, les ondes radio ou même les neutrinos (des particules quasiment sans masse qui interagissent peu avec la matière).

Pour la suite, Virgo fait actuellement peau neuve pour être aussi précis que son collègue américain et reprendre du service avant la fin 2016. Son couplage avec LIGO permettra une localisation précise des sources dans le ciel. Les Japonais achèvent Kagra ; les Indiens comptent sur LIGO India. Et les chercheurs voient encore plus loin. Les instruments terrestres sont en effet limités à l’observation d’objets peu massifs et proches, toutes proportions gardées.

En effet, plus les « cailloux » agitant l’espace-temps sont gros, plus les crêtes des vagues créées sont éloignées et plus il faut des bras grands pour en saisir le passage. Des trous noirs, plusieurs millions de fois plus lourds que le Soleil, comme celui au cœur de notre galaxie, resteront en fait invisibles à LIGO et à Virgo.

Des rumeurs bruissent déjà sur le fait que le détecteur LIGO aurait d’autres secousses
dans son sac

La suite consistera à installer en orbite eLISA, une sorte de triangle de faisceaux laser dont les « bras » d’un million de kilomètres de long bougeraient sous l’effet d’ondes gravitationnelles. Lancement prévu dans les années 2030. L’Agence spatiale européenne a mis sur orbite, le 3 décembre 2015, LISA Pathfinder, un satellite destiné à tester des technologies nécessaires à eLISA.

Cette détection d’ondes gravitationnelles, aussi compliquée soit-elle, n’est pas une surprise. La relativité générale est fiable et éprouvée depuis de nombreuses années : la plupart des phénomènes étranges prévus par cette théorie ont déjà été observés. Par exemple, les gros objets dévient les rayons lumineux, ce qui décale effectivement la position des étoiles dans le ciel. Ou bien une horloge bat plus vite le tempo en altitude qu’en surface (une information essentielle pour corriger les signaux GPS).

Quant aux ondes gravitationnelles elles-mêmes, leur présence avait été repérée en 1978 et saluées par un prix Nobel en 1993 : la rotation de deux pulsars détectés en 1974 et se tournant autour s’accélérait à cause de l’émission d’ondes gravitationnelles entre les deux objets. En revanche, jamais ces ondes n’avaient été ressenties sur Terre. Des rumeurs bruissent déjà sur le fait que LIGO aurait d’autres secousses dans son sac.

S’il ne fait pas de doute qu’un prix Nobel couronnera cette découverte, les noms des lauréats seront difficiles à choisir. L’Américain Rainer Weiss, du MIT, est à l’origine, dans les années 1970, des premières études précises sur les défis à relever pour de futurs instruments. Kip Thorne, charismatique physicien américain, a poussé à la réalisation de LIGO dans les années 1990. Ronald Drever, un Ecossais, a eu l’une des idées-clés permettant d’augmenter la puissance des lasers. Côté européen, le Français Alain Brillet et l’Italien Adalberto Giazotto ont contribué largement aux techniques optiques et mécaniques nécessaires au fonctionnement parfait de Virgo. Et, bien sûr, les porte-parole de LIGO, Gabriela Gonzalez, ou de Virgo, Fulvio Ricci, sont aussi sur les rangs. De quoi secouer encore le landerneau scientifique.

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Un siècle d’attente

Albert Einstein par sa double théorie de la relativité restreinte (1905) et générale (1915) a bouleversé les notions intuitives de temps, d’espace et d’énergie.

Selon la première théorie, la description complète et correcte de l’Univers ne doit pas séparer le temps et les positions dans l’espace mais les considérer ensemble : un point dans l’espace-temps est en fait un événement, c’est-à-dire une position attachée à un temps. Le temps absolu n’existe pas. Il dépend des vitesses relatives…

Comprendre la théorie de la relativité générale d'Einstein
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