La polémique qui agite depuis plusieurs jours la classe politique est de saison. A Marseille, une association souhaitait organiser une journée réservée aux femmes et aux enfants dans un parc aquatique, où le port du burkini serait autorisé. Une initiative vivement critiquée par des personnalités politiques, principalement de droite et d’extrême droite, y voyant un choix « communautariste ». Mais un tel événement a-t-il quoi que ce soit d’illégal ?

C’est quoi cette « journée burkini » ?

L’association marseillaise Smile 13 souhaitait privatiser le parc aquatique Speedwater Park aux Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône) pour « un peu moins de 15 000 euros » la journée du 17 septembre 2016 (initialement prévu le 10, l’événement a été décalé d’une semaine).

L’affiche qui présentait la journée indique qu’elle s’adresse « exclusivement » aux femmes et aux enfants (les garçons sont autorisés jusqu’à l’âge de 10 ans). Il est indiqué qu’« exceptionnellement », le parc autorise la baignade en « burkini » (un maillot de bain qui couvre le corps de la tête aux chevilles mais laisse le visage apparent) ou « jilbeb de bain » (plus ample que le burkini), à condition que les tissus soient adaptés à la pratique de loisirs aquatiques. L’invitation précise également que le personnel du parc sera mixte.

L’événement a été résumé un peu vite à une « journée burkini » par la classe politique et certains médias. « Seules les femmes habillées de la tête aux pieds y seront acceptées », s’indigne par exemple un édito du Figaro. Dans les faits, les maillots de bains deux-pièces sont proscrits, « les parties doivent être cachées de la poitrine aux genoux », mais un « maillot une pièce avec un paréo ou short-caleçon » est accepté.

« Je ne vois pas ce qu’on peut nous reprocher à part de pratiquer notre religion », estime Melisa Thivet, la trésorière de l’association Smile13, interrogée par Le Lab. « Notre but est de rapprocher les femmes de l’eau. Certaines n’ont pas la chance de pouvoir aller se baigner dans le parc en pleine saison, par pudeur. » Et de préciser que l’événement n’est pas réservé aux femmes de confession musulmane.

Qui l’organise ?

Smile 13 (un acronyme pour Sœurs marseillaises initiatrices de loisirs et d’entraide) est une association marseillaise dédiée à l’accès aux loisirs aquatiques pour les femmes et leurs enfants. L’association organise régulièrement des journées détente réservées aux femmes dans des spas ou des piscines. Elle organise aussi des cours d’arabe et de lecture du Coran, ainsi que des ateliers cuisine durant le ramadan.

Cette association créée le 12 janvier 2015 dit réunir environ 200 membres et ne reçoit pas de subvention publique. Sa trésorière Melisa Thivet, convertie à l’islam, a affirmé au Monde « vivre à l’européenne » et « ne pas porter le voile » : « Nous sommes une association culturelle et sportive, pas cultuelle. »

Pas convaincu, le Front national accuse l’association d’être un « faux-nez de l’islamisme » dans un communiqué diffusé vendredi 5 août.

Peut-on interdire un événement comme celui-ci ?

Le parc Speedwater n’est pas une piscine municipale, mais un établissement privé. Il a, à ce titre, son propre règlement intérieur (qui proscrit d’ailleurs le « burkini » en temps normal). Il arrive, occasionnellement, que le parc soit réservé à des événements privés. C’était le cas de la journée du 17 septembre, à l’initiative de Smile 13 et en dehors des dates d’ouverture habituelles du parc (la saison se termine le 4 septembre).

L’entreprise a revendiqué cette liberté dans un communiqué, s’affirmant « libre de privatiser son espace toute une journée à l’instar d’une salle des fêtes pour la célébration d’un mariage ».

Le maire des Pennes-Mirabeau, Michel Amiel (ex-socialiste, membre du parti La Force du 13 de Jean-Noël Guérini), a néanmoins trouvé une solution pour tenter de faire interdire la journée, à travers un arrêté municipal pour « troubles à l’ordre public ».

Cette notion s’applique en principe dans les cas où l’événement ou la manifestation visés pourraient susciter des émeutes ou des violences. En 2007, par exemple, un arrêté préfectoral avait visé une distribution de « soupe au cochon » à des personnes sans-abri à Paris. L’association d’extrême droite à l’origine de l’événement, qui avait contesté son interdiction, n’avait pas obtenu gain de cause face au Conseil d’Etat. Ce dernier avait estimé que les fondements et le but de la manifestation, visibles sur le site de l’association, légitimaient les inquiétudes des autorités.

Dans le cas de cet événement aquatique, on peut s’interroger sur la réalité des menaces pour l’ordre public. Le maire Michel Amiel a considéré cette journée comme une « provocation dont on n’a pas besoin dans le contexte actuel ». Reste que l’association Smile 13 n’est pas connue pour des messages haineux ou des violences, et qu’il reste à démontrer que la menace d’éventuels actes d’hostilité à l’événement nécessiterait une interdiction préventive.

Il n’est pas dit que ce débat soit tranché par la justice : pour l’heure, la réservation du parc n’a toujours pas été formalisée par l’association Smile 13 et la trésorière de ce dernier, Melisa Thivet, indiquait jeudi 4 août au Monde ne pas savoir si elle allait la maintenir. La page de l’événement sur Facebook a également été mise hors-ligne.

Le burkini est-il interdit par la loi ?

La loi ne se prononce pas sur les tenues à adopter dans les établissements aquatiques. La circulaire sur la loi de 2010 sur le voile intégral prohibe seulement la dissimulation du visage dans l’espace public, ce qui vise notamment le niqab. Le burkini, qui est un maillot de bain couvrant le corps des chevilles à la tête, sans dissimuler le visage, est donc une tenue tout à fait légale.

En revanche, le règlement intérieur de chaque établissement définit les tenues autorisées ou non et prohibe par exemple celles qui sont jugées non adaptées ou pourraient poser des problèmes d’hygiène.

Il est courant dans des piscines publiques ou privées que le règlement proscrive les vêtements qui ne sont pas exclusivement réservés à la baignade, quand bien même ils seraient adaptés, pour éviter qu’un usager puisse se baigner avec une tenue utilisée à l’extérieur. Ce qui peut viser les shorts et les bermudas, mais aussi le burkini (même s’il n’est pas forcément explicitement nommé).

Plusieurs cas de ce type ont été évoqués dans la presse, à Douai en 2011 ou à Emerainville en 2009.

Et les créneaux horaires non mixtes dans les piscines ?

Le cas des piscines publiques est différent de celui des établissements privés, car elles sont gérées par la municipalité. En l’absence de jurisprudence sur le sujet, la compatibilité des créneaux confessionnels dans une piscine municipale avec la loi de 1905 sur la laïcité peut faire débat.

Cela n’a pas empêché certaines mairies de pratiquer de telles organisations. A Sarcelles, un créneau horaire de la piscine avait été mis en place en 2006 le dimanche après-midi à une association de femmes juives loubavitchs, dont le culte interdit de se baigner en présence d’hommes. La communauté d’agglomération Val-de-France y a mis fin la même année.

À Aix-les-Bains, des créneaux similaires ont été mis en place en 1977 dans la piscine municipale pour les élèves des écoles juives de la ville. La polémique avait éclaté en 2011 après qu’une femme eut essuyé le refus d’accéder aux bassins sur ces créneaux horaires, à cause de la présence d’élèves.

Il existe aussi dans certaines municipalités des créneaux réservés à certaines populations, sur des critères autres que la religion. Accusée en 2012 d’avoir mis en place des horaires réservés aux femmes musulmanes, la mairie de Lille dirigée par Martine Aubry s’était défendue en affirmant qu’il existait des plages horaires spécifiques destinées depuis 2000 à certaines habitantes dans le cadre d’un programme de lutte contre l’obésité, racontait L’Express. La municipalité faisait valoir qu’il existait aussi des créneaux réservés aux femmes enceintes ou aux dames du troisième âge. Il existe également un créneau horaire non mixte à Strasbourg.

Le candidat du MoDem François Bayrou s’est quant à lui déclaré favorable en avril 2012 à la mise en place d’horaires non mixtes dans les piscines municipales, à partir du moment où il ne s’agirait pas de créneaux confessionnels. « Il y a des femmes qui pèsent plus lourd que d’autres, et qui ne veulent pas être exposées au regard des hommes dans une piscine », plaidait-il maladroitement.