Michel Temer, le 5 août, au Maracana de Rio. | MARK HUMPHREY / AFP

Pour être sûr, on s’est enquis de la traduction auprès de notre voisin de tribune. Oui, c’est confirmé : ces « bouhhhhhh ! » brésiliens veulent bien dire « bouhhhhhh ! ». Il est quelque chose comme 23 heures à Rio, 4 heures du matin à Paris. Dans les tribunes du Maracana, ces huées du public ne sont pas destinées à un footballeur un peu trop gourd de ses pieds, pas plus qu’à un chanteur aux cordes vocales mal accordées.

Les sifflets s’adressent bien, vendredi 5 août, au président par intérim du Brésil, lorsque celui-ci, Michel Temer pour le nommer, a déclaré ouverts les Jeux olympiques 2016 de Rio de Janeiro.

S’il en avait eu la possibilité, le chef d’Etat intérimaire aurait sûrement préféré avoir piscine plutôt que d’assister à cette cérémonie d’ouverture. Car il savait. Du haut de sa tribune officielle, le centriste savait qu’une partie du public lui ferait payer bruyamment ce que ses opposants considèrent comme un coup d’Etat institutionnel ayant renversé il y a trois mois la travailliste Dilma Rousseff, qui a regardé la cérémonie littéralement à domicile : chez elle.

ANTONIN THUILLIER / AFP

Nous conseillons chaudement – 26 °C degrés, et encore, température hivernale… – la lecture d’autres articles autrement plus sérieux, ici ou là, pour prendre la mesure de la crise politique qui secoue le Brésil et qui a donc résonné un peu partout dans le monde vendredi.

Le Comité international olympique a plus de membres (206) que les Nations unies (193), ce qui fait approximativement beaucoup de journalistes pour couvrir la soirée, et une très longue file d’attente à l’entrée du stade Maracana – qui doit d’ailleurs son nom officiel à un journaliste, Mario Filho, puisqu’il s’agit de lui.

La rédaction de « Rio ne répond plus », victime de ses stupides idiosyncrasies, a encore une fois perdu un temps précieux à explorer ses poches pour en extraire tout objet métallique susceptible de lui faire rater son test d’entrée sous les portiques de sécurité.

Son sens de la ponctualité aidant, elle a toutefois pris place à temps pour assister au début du spectacle, censé donner à voir la réalité d’un pays divers et métissé, dont l’hymne national a été interprété – agréable surprise – à la guitare par le musicien Paulinho da Viola, en tout début de cérémonie.

Un pays vert, hommage aux peuples indigènes qui virent il y a cinq siècles arriver les Européens en bateau.

Un pays urbanisé, hommage à Oscar Niemeyer, l’architecte qui édifia aussi le siège du Parti communiste français, place du colonel Fabien, à Paris, quand il fuyait la dictature militaire du Brésil (1964-1985).

Un pays, cependant, où les inégalités sociales restent à combler. Les habitants des quartiers les plus populaires auront sûrement apprécié l’air de pop censé faire entendre, selon le programme officiel, « la voix des favelas ». Mais sur leur écran de télévision.

Coût des billets les moins chers au Maracana : 200 reais (56,96 euros), soit beaucoup trop pour les foyers les plus modestes. Sans parler des rafraîchissements : 10 reais le cola et 8 reais le jus d’orange.

Pas de quoi démoraliser les spectateurs au moment d’applaudir l’équipe internationale des réfugiés ou les sportifs brésiliens, bien mieux lotis que M. Temer, 75 ans dont déjà un trimestre comme président par intérim du Brésil, ce qui devrait commencer à se savoir.

Un certain Vanderlei de Lima a eu chaud, lui aussi. Mais la chose lui a sans doute été assez agréable : l’ancien marathonien porta dans la vasque du Maracana la flamme olympique (déjà chahutée plusieurs fois ces derniers jours par des manifestants qui protestaient contre la tenue de ces Jeux, soit dit en courant).

De Lima s’était fait connaître aux Jeux 2004 à Athènes pour avoir été stoppé dans sa foulée par un spectateur aussi dérangé que défroqué. En l’occurrence, un prêtre irlandais qui lui coûta une médaille d’or.

Le Monde a rencontré l’ancien athlète avant ces Jeux de Rio sans se douter qu’il connaîtrait pareille frisson calorifique. A l’origine, on imaginait plutôt cet honneur réservé à un tennisman comme « Guga » Kuerten – lequel, beau joueur, a pleuré de pleines larmes de bonheur au moment d’entrer dans le Maracana avec la flamme.

Ou encore, ou bien sûr, au « roi » Pelé. Mais le vieux footballeur ne se sentait pas d’attaque, comme il l’a lui-même reconnu dans un communiqué. « Je ne suis pas physiquement en mesure d’assister à l’ouverture des Jeux olympiques. Et, comme tout Brésilien, je demande à Dieu de bénir tous ceux qui participent à cet événement afin qu’il soit un grand succès et qu’il se termine en paix ! » Au nom du père, du fils, et du sprint olympique.

Vanderlei de Lima porte la flamme olympique dans la vasque du stade. | JEWEL SAMAD / AFP