On est dans le futur. | SERGIO MORAES / REUTERS

Comme le tennis ou le golf, le cyclisme sur route n’est pas fondamentalement une discipline olympique : gagner le Tour de France, voire une grande classique, reste plus important pour ses acteurs. Mais à l’inverse du tennis ou du golf, tous les cadors du sport ont fait le déplacement à Rio de Janeiro, consentant à ne pas fêter la fin du Tour de France pour profiter d’un tracé montagneux comme on en voit peu sur les grands championnats.

Hormis Nairo Quintana, Alberto Contador (blessé sur le Tour de France) et Peter Sagan (engagé sur le VTT) ou d’autres sprinteurs qui n’auraient aucune chance, toutes les stars du cyclisme seront au départ d’une épreuve de 237 kilomètres. Parmi elles, quatre Français : Warren Barguil, Romain Bardet, Julian Alaphilippe et Alexis Vuillermoz. Barguil se remettant mal d’un gros rhume, il reste trois hommes en bonne santé pour aller chercher une médaille, ce qui n’est jamais arrivé aux Français depuis que les Jeux olympiques sont ouverts aux professionnels (1996).

La course est toutefois complétement imprévisible, par le format des équipes et le parcours. En effet, les équipes les plus fournies ne comptent que cinq coureurs, contre huit ou neuf le reste de l’année, ce qui rend très compliqué le contrôle de la course au service d’un leader. Enfin, après la dernière côte du circuit, il restera une quinzaine de kilomètres de descente et de plat pour revenir à Copacabana. La tactique et la force collective – voire les amitiés monnayées ou les intrigues entre équipes de marque – prendront alors une part prépondérante dans la composition du podium.

Le circuit de Vista Chinesa, à parcourir trois fois et sur lequel les coureurs arriveront au bout de 160 kilomètres.

  • Scénario 1 : une échappée lointaine n’est jamais reprise, Alexis Vuillermoz champion olympique !

La France a une faiblesse : un seul coureur, parce qu’il est diminué physiquement (Warren Barguil), est prêt à se mettre sans arrière pensée au service de ses coéquipiers. Mais elle a une force : ses trois leaders peuvent, chacun à leur manière, croire en leur chance sur ce circuit.

Le rôle d’Alexis Vuillermoz, qui avait remporté l’épreuve préparatoire il y a un an sur le même circuit – mais les meilleures nations n’étaient pas là –, sera de partir dans une échappée si elle part à plusieurs dizaines de kilomètres de l’arrivée. Par exemple dans la première boucle du circuit final de Vista Chinesa (qui offrira des vues à couper le souffle sur la baie de Rio).

On est dans le futur. | SERGIO MORAES / REUTERS

C’est un peu le scénario de la course des JO de Londres : malgré leurs efforts, les Britanniques n’avaient jamais réussi à reprendre la grosse échappée dont avait émergé, dans les dix derniers kilomètres, le champion olympique kazakh Alexandre Vinokourov.

C’est aussi le moins probable, comme le reconnait Vuillermoz : « Je m’attends à une explication dans le circuit final avec trois montées raides exigeantes et des descentes techniques. Pour l’échappée du matin, il faudra beaucoup d’avance à l’arrivée du circuit final pour aller au bout. Derrière, des équipes comme l’Espagne ou l’Italie vont être intéressées pour que cela s’explique dans le final. »

OK pour l’échappée du matin. Mais pour l’échappée du début d’après-midi, on y croit quand même un peu. « On est une de ces équipes qui a absolument interdiction de rater la bonne échappée, souligne Romain Bardet. Certaines équipes ont fait le choix d’amener des coéquipiers pour cadenasser la course mais nous on doit faire une course de mouvements et être de tous les coups, parce qu’on ne pourra pas rouler derrière. »

Et si cela souriait à celui qui, de tout le peloton aligné ce samedi, a peut-être le plus l’esprit olympique chevillé au corps, de par sa culture du VTT et sa passion pour le... judo ?

  • Scénario 2 : la course est dure, très dure, très très dure, Romain Bardet champion olympique !

Dernier selfie avant médaille d’or. | ERIC FEFERBERG / AFP

C’est le scénario dont rêve Bernard Bourreau, le sélectionneur de l’équipe de France, et son leader officieux, récent deuxième du Tour de France : une course qui s’emballe rapidement, sous l’impulsion des Britanniques de Christopher Froome et Adam Yates des Italiens de Vincenzo Nibali et Fabio Aru. Le but : écarter les spécialistes des classiques comme le Belge Greg Van Avermaet, et ne garder en haut de la dernière côte du circuit qu’une poignée de grimpeurs, si possible avec Romain Bardet.

Dans une telle configuration, Bardet assume : c’est lui le leader, et pas un autre. S’il reste sur la lancée de son exceptionnelle fin de Tour de France, il est certainement l’un des hommes les plus forts du peloton, avec en plus une culture des classiques que n’a pas un Christopher Froome. Mais cela suffira-t-il ? Lui-même semble ne pas y croire.

« Je ne dis pas qu’il y aura 20 mecs à l’arrivée au sprint, mais je pense qu’il y aura un peu d’attentisme dans la côte du fait qu’il y aura 15 kilomètres derrière qui seront très incertains. Là, tout dépendra des intérêts des coureurs encore devant. Il faudra être lucide, bien analyser la situation. Il faudra être dans les plus forts dans la bosse, mais la certitude c’est que celui qui s’imposera sera le plus fin tacticien. »

Un domaine dans lequel Romain Bardet a encore à apprendre, quoi qu’il ne soit pas le moins bien doté du peloton en la matière. Il est une autre qualité qui pourrait lui servir dans le final : celle de descendeur.

« La descente est très, très dangereuse. On n’a pas le droit à l’erreur sinon ça peut être un carnage, même au niveau de la sécurité. Celui qui tombe dans la descente ne repartira pas. Ce sont des routes assez atypiques avec des bas-côtés qui ne sont pas du tout aménagés. Il va falloir être très vigilant, surtout avec un effort violent auparavant. »

La courte descente de Vista Chinesa (six kilomètres environ) n’est pas propre à créer des écarts, mais il est possible d’y pousser à la faute l’un ou l’autre de ses adversaires.

  • Scénario 3 : le peloton se regroupe dans le final, Julian Alaphilippe champion olympique !

Un selfie qui pourrait valoir très cher dans quelques heures. | ERIC FEFERBERG / AFP

« Si on est encore 45 au pied de la derniere ascension, on aura Julian, qui va très vite au sprint, pour être là », envisage Romain Bardet. Alexis Vuillermoz privilégie lui aussi le scénario d’une arrivée en petit groupe, compte tenu de la longueur du retour vers Copacabana, qui permettrait aux Bleus de jouer la carte Alaphilippe .

L’intéressé valide : s’il n’est pas dans les dix meilleurs grimpeurs au départ, il peut être, dans un bon jour, sur le palier du dessous. Et dans un groupe d’une vingtaine de coureurs, il pourrait être le plus rapide avec Alejandro Valverde.

« Je suis assez rapide au sprint et ça peut le faire si j’arrive avec un petit groupe. Je n’ai pas forcément d’intérêt à bouger dans l’ascension vraiment difficile, je vais plutôt essayer de m’accrocher et de basculer au sommet avec le moins de retard possible », explique le coureur d’Etixx-Quick Step, deuxième de l’étape de Cherbourg sur le dernier Tour de France et à l’attaque dans la dernière semaine.

Le site spécialisé Inner Ring l’a même classé au deuxième rang des favoris du jour juste derrière Alejandro Valverde, à égalité avec le Britannique Adam Yates, l’Irlandais Dan Martin et le Colombien Jarlinson Pantano.

Pour justifier ce rang, Julian Alaphilippe devra maîtriser son instinct d’attaquant et livrer le moins d’effort possible avant les 15 derniers kilomètres de plat. Si l’on en juge l’âge des trois derniers champions olympiques au moment de leur titre (Vinokourov 38 ans, Samuel Sanchez et Paolo Bettini 30 ans), l’expérience aide à conquérir un titre olympique, mais Alaphilippe, 24 ans, n’a jamais vraiment attendu qu’on lui donne sa chance pour la saisir.