Ki Bo-Bae. | JUNG YEON-JE / AFP

A moins d’être un(e) mordu(e) de tir à l’arc, il est probable que vous n’ayez jamais entendu parler de Ki Bo-bae. Sur sa page Wikipédia en français, une malheureuse ligne résume sa biographie. A peine plus en anglais avec quatre petites phrases. En Corée du Sud, en revanche, la jeune archère de 28 ans est loin d’être une inconnue.

Même si la discipline n’atteint pas la popularité du football et du baseball dans le pays, ses représentants s’illustrent systématiquement à chaque grand-messe olympique. Arithmétiquement, le constat est simple : le tir à l’arc est le sport qui lui a rapporté le plus de titres olympiques (19) lors des Jeux d’été – devant le judo (11), la lutte (11) et le badminton (6). Une moisson fulgurante quand on sait que la Corée du Sud n’avait collecté qu’une seule médaille d’or, tous sports confondus, à la veille des JO de 1984.

Avec un tel palmarès, dire que la pression sur les membres de l’équipe nationale est forte – aussi bien individuellement que collectivement – relève presque d’un euphémisme. « En faire partie est à la fois un honneur et une fierté mais ça met aussi énormément de poids sur les épaules », confirme Ki Bo-bae dans une interview à la Fédération internationale de tir à l’arc. A chaque compétition que l’équipe dispute, les médias nationaux et des hordes de fans sont à ses trousses.

« Un vrai tournant »

La jeune femme est sortie de l’anonymat à l’occasion des Jeux de 2012. A Londres, Ki remporte deux médailles d’or, en individuel et par équipes. Son duel avec la Mexicaine Aida Roman fut pour le moins haletant, conclu par un play-off en mort subite. Ki tire la première et manque le centre à dix points (les scores vont de 10 pour l’anneau intérieur à 1 pour l’anneau extérieur), enregistrant seulement un 8. A son tour, Roman ne touche que le 8, mais sa flèche ayant viré plus à gauche, la victoire revient à la Coréenne pour quelques millimètres. « Cette performance m’a valu de susciter un intérêt national parmi mes compatriotes et a complètement changé ma vie. Je ne peux pas dire que ce fut le pic de ma carrière car j’ai encore des choses à accomplir, mais ça a été un vrai tournant. »

« Si je suis capable de me battre avec moi-même tous les jours, alors je peux battre n’importe qui »

« Le tir à l’arc est l’une des épreuves les plus suivies par les Coréens au moment des Jeux et, actuellement, Ki est celle qui incarne le mieux ce sport, abonde Yoo Jee-ho, journaliste à l’agence de presse sud-coréenne Yonhap. En dehors des vedettes des sports phares que sont le football et le baseball, c’est l’une des athlètes les plus populaires en Corée. » Sans toutefois atteindre la notoriété de l’ex-patineuse artistique Kim Yu-na, championne olympique à Vancouver en 2010, « qui ne pouvait pas faire un pas sans être suivie par un essaim de supporteurs », témoigne Yoo Jee-ho, ou bien celle du nageur déchu Park Tae-hwan. Premier champion olympique de son pays en 2008 (400 m), celui-ci a été contrôlé positif à la testostérone en 2014 et a dû purger une suspension de 18 mois infligée par la Fédération internationale de natation.

Mais, depuis le triomphe de Ki Bo-bae à Londres, rien n’a été évident pour rester parmi l’élite. En Corée du Sud, la concurrence est tellement relevée que faire partie de l’équipe nationale constitue en soi une compétition. En 2014, la double championne olympique n’a pas été sélectionnée pour représenter son pays lors des compétitions internationales et a dû se contenter de suivre les Jeux asiatiques d’Incheon depuis la cabine des commentateurs. Son premier échec en quatre ans. « Ne plus faire partie de l’équipe fut difficile à digérer. J’ai réalisé qu’il y avait une défaillance quelque part. Il a fallu que j’analyse ce qui, dans mon esprit, clochait. Je n’étais tout simplement pas assez forte mentalement. Or, le mental, c’est la clé. Si je suis capable de me battre avec moi-même tous les jours, alors je peux battre n’importe qui. »

« Laisser une trace dans l’histoire »

Ki Bo-bae a redoublé d’efforts sur le pas de tir et un an plus tard, en 2015, elle a retrouvé son rang au plus haut niveau mondial. Avec un seul but en tête : conserver sa couronne en individuel aux Jeux de Rio. Si elle y parvient, elle deviendra la première archère à décrocher deux titres olympiques consécutifs. Même les légendes Kim Soo-nyung – considérée comme la plus grande archère de l’histoire du tir à l’arc, sacrée quatre fois aux Jeux – et Yun Mi-jin (3 titres olympiques) n’y sont pas parvenues. Depuis l’introduction de l’épreuve par équipes chez les femmes, en 1988, la Corée du Sud a toujours conquis le titre suprême. A Rio, le 11 août, Ki Bo-bae et ses compatriotes Choi Mi-sun et Chang Hye-jin tenteront de se l’adjuger une huitième fois.

« Les gens autour de moi me disent : n’as-tu pas déjà tout accompli ? Mais conserver mon titre me permettrait d’accomplir mon rêve : des archers avec deux médailles d’or olympiques, ça s’est déjà vu mais aucun ne l’a fait consécutivement, raconte Ki Bo-bae, qui s’est astreinte à l’hiver 2015 à un entraînement de stakhanoviste, lançant entre 400 et 450 flèches par jour. Je me dis que je ne devrais pas me montrer aussi gourmande mais ce but-là me motive au quotidien. Je veux laisser une trace dans l’histoire de ce sport qui efface celle de mes aînés sud-coréens. »