JO de Rio : vivez une descente en kayak avec Sébastien Combot
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Six petits centièmes de seconde. C’est l’avance qui a permis à Sébastien Combot d’arracher sa qualification olympique en kayak monoplace (K1 slalom) aux dépens de son compatriote Boris Neveu, le numéro un mondial de la discipline. Une place par nation et par catégorie, le règlement peut paraître cruel quand on connaît la densité du canoë-kayak en France. « Mais c’est l’esprit des Jeux, rétorque le champion du monde 2007 et vice-champion du monde 2014. Si on prenait les quinze meilleurs au classement mondial, ça ne se jouerait peut-être qu’entre 5 pays... » A savoir, la France, la République tchèque, l’Allemagne, la Slovénie et la Slovaquie, qui dominent la discipline. Avant de dompter les eaux vives du bassin rectiligne de Rio, Sébastien Combot, 29 ans, a reçu Le Monde chez lui à Pau, fin juillet, pour décrypter les subtilités d’une discipline aussi technique qu’esthétique.

  • Kayak vs canoë

« La première distinction fondamentale, c’est la position dans le bateau. En kayak, on est assis, les pieds devant ; en canoë, on est à genoux, assis sur ses malléoles. Ça joue principalement sur l’équilibre : le centre de gravité est plus haut en canoë donc on est plus instable. L’autre grosse différence, c’est la pagaie. En kayak, elle est double, ce qui permet de pagayer à droite et à gauche. En revanche, en canoë, c’est une pagaie simple, avec un manche d’un côté – une “olive” – et de l’autre, la pale, du coup on ne peut pagayer que d’un seul côté à la fois.

En canoë, quand on pagaie à droite, le bateau vire à gauche, il faut donc apprendre à aller tout droit en ne pagayant que d’un côté. Souvent, on commence par le kayak car l’apprentissage est plus facile. C’est plus délicat de se diriger en canoë et on tombe à l’eau plus souvent. »

  • Le parcours

« Un parcours de slalom fait environ 300 m et comporte de 18 à 25 portes matérialisées par des fiches [piquets] bicolores : des vertes et blanches, qu’il faut franchir dans le sens du courant, et d’autres rouges et blanches – appelées “stop” – qu’on remonte dans le sens contraire du courant.

Chaque parcours comporte obligatoirement 6 “stop” : ces portes sont souvent placées derrière les enrochements, dans une zone dite “de moindre courant”. C’est un peu comme sur l’autoroute quand on s’apprête à doubler la voiture qui nous précède. A ce moment-là, on sent qu’on est “aspiré” par elle. De la même façon, derrière les enrochements, il n’y a pas de courant qui nous fait descendre donc ça nous permet de remonter la pente.

Sébastien Combot a pu se familiariser avec le bassin de Rio lors du Test Event, en novembre 2015, où il a fini troisième. | NICOLAS PESCHIER / AFP

Les portes vertes, on a plusieurs façons de les passer mais c’est toujours dans le sens du courant. On va chercher à tendre les trajectoires en pagayant le plus possible droite-gauche. Les portes rouges, on peut les franchir en pagayant à l’intérieur ou à l’extérieur de la trajectoire. Suivant les mouvements d’eau et le timing des vagues, ça va être plus efficace de le faire dans un sens ou dans l’autre, on le fait au feeling. C’est sur le passage des “stop” qu’il y a le plus de temps à perdre à ou gagner. C’est là qu’on a le moins de vitesse donc le moindre petit arrêt va vite se chiffrer en secondes. »

  • Les pénalités

« Le but, c’est de franchir toutes les portes en un minimum de temps. La moyenne d’une descente, c’est 1min30, 1min35 chez les hommes ; chez les femmes, ça dure 1min45, 1min50. Quand on touche une porte, on écope de deux secondes de pénalité qui s’additionnent au temps final. Si on la franchit mal ou qu’on en loupe une, on reçoit 50 secondes de pénalité, ce qui est presque fatal…

A notre niveau, c’est très rare de manquer une porte. Quand on “reçoit un 50”, c’est plutôt parce qu’on ne l’a pas franchie dans les règles de l’art. Pour que le passage soit validé, il faut que toute la tête passe entre les piquets simultanément avec un bout du bateau. Pour gagner du temps, on essaie de diminuer au maximum les trajectoires, c’est pourquoi, souvent, on frôle les piquets. »

  • La compétition

« Aux Jeux, il y a deux manches de qualification que disputent 21 kayakistes. On prend le meilleur résultat parmi les deux manches, on établit un classement et les 15 meilleurs passent en demi-finale. Il y a deux jours d’interruption entre les qualifications [le 7 août à Rio] et les demi-finale et finale [le 10 août]. On ne peut pas tester le parcours avant, on le découvre seulement lors de la première descente. C’est le même tracé pour les deux manches de qualifs’ et il y en a ensuite un autre pour la demi-finale et la finale.

La demi-finale se dispute sur une seule manche et, à l’issue, les dix meilleurs se hissent en finale, elle aussi en une seule manche. Les compteurs sont remis à zéro avant le départ : le premier de la demi-finale n’a aucun avantage si ce n’est de partir le dernier… ce qui peut être un inconvénient aussi, ça dépend des gens. On a plus de pression car on connaît tous les temps des autres, donc on sait s’ils ont gazé ou pas, et si c’est le cas, la pression redouble. Au début, je n’aimais pas me retrouver dans cette position. Désormais, cette pression, je la tourne en positif : j’ai appris à prendre des infos et à m’en servir avant ma course.

« Mes points forts, ce sont ma qualité d’analyse des mouvements d’eau et ma technicité », estime le Français, qui dispute à Rio ses premiers JO. | GAIZKA IROZ / AFP

Entre les manches de demi-finale et de finale, on décortique tout à la vidéo. On regarde les options qu’ont prises les adversaires et on s’en inspire si leur passage était plus rapide que le nôtre.

« A notre niveau, c’est rare de chavirer mais ça nous arrive parfois. En compétition, un esquimautage, c’est jamais bon signe... »

Le kayak est un sport où on s’appuie énormément sur la vidéo. Depuis que j’ai commencé cette discipline, j’ai toujours travaillé avec. L’ordinateur fait des comparatifs, un peu comme en ski. D’ailleurs, le slalom en kayak ressemble énormément au slalom en ski. Il y a une prise de risque et un niveau d’investissement similaires. Si on veut “perfer”, il faut être limite sur les trajectoires, en gérant cette prise de risque pour ne pas “fourcher”. »

  • Les figures

« En slalom, on évolue dans un milieu mouvant, l’eau vive, il faut donc savoir lire les courants en temps réel, analyser les mouvements d’eau et réagir en fonction. En résumé, il faut savoir jouer avec l’eau pour qu’elle nous aide, parfois en surfant les vagues, parfois en sautant au-dessus. Ça implique d’être très réactif et de faire les bons choix au bon moment.

Parmi les figures, il y a la reprise, qui désigne la sortie d’un stop, quand on quitte une zone de contre-courant. Un bac, c’est le fait de traverser la rivière d’une rive à l’autre sans descendre. L’objectif, c’est de se retrouver sur l’autre rive au même niveau qu’au départ. Quant à la chicane de courant, ça consiste à faire un S derrière un enrochement comme en formule 1. Pour maîtriser au centimètre près ces figures, on répète nos gammes quotidiennement, parfois sur du plat. »

  • L’esquimautage

« Le but du kayak, c’est évidemment de rester sur l’eau mais parfois, on est déséquilibré et on se retourne. Pour éviter de sortir du bateau et de devoir nager, on a développé une technique, appelée l’esquimautage. Elle vise à faire un mouvement sous l’eau qui permet de remonter à la surface. C’est une étape importante quand on commence le kayak car ça permet de se sentir en sécurité par la suite.

A notre niveau, c’est rare de chavirer mais ça nous arrive de temps en temps. En compétition, c’est jamais très bon signe, on perd tellement de temps que souvent, on est out. Même si, lors des Jeux olympiques de Sydney en 2000, une kayakiste a fini deuxième malgré un esquimautage.

La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était à Rio début juillet en stage. J’ai testé un truc, ça n’a pas marché et comme j’étais dans un rouleau, j’ai chaviré. J’ai bien rigolé ! »